On le sait, les yakuza ont perdu énormément de terrain au fil des années. De plus de 180 000 dans les années 1960, le nombre de membres des principaux gangs du Japon était de 22 400 à la fin 2022, en comptabilisant membres de clans et associés, selon les données de l’Agence nationale de la Police. Certains y voient une disparition prochaine de cette pègre venue d'un autre âge et vivant selon des principes désuets. Les yakuza tiennent à leurs traditions, peut-on leur en vouloir ?

Voici le nombre de membres des principales familles de yakuza en 2022, avec la différence par rapport à 2021 (données de l’Agence nationale de la Police.).

Yamaguchi-gumi (Kōbe)
3 800 (-200) membres et 4 300 (-200) membres associés

Kobe Yamaguchi-gumi (Kōbe)
330 (-180) membres et 430 (-110) membres associés

Sumiyoshi-kai (Minato, Tōkyō)
2 400 (-100) membres et 1 400 (-100) membres associés

Inagawa-kai (Minato, Tōkyō)
1 900 (0) membres et 1 200 (0) membres associés

Le Yamaguchi-gumi, organisation criminelle la plus importante du pays, représente 36,2 % du total de yakuza au Japon. Pour sa part, le Kobe Yamaguchi-gumi, qui revendiquait 6 100 membres lors de sa fondation en 2015, est descendu à 760 membres sept ans plus tard. En ajoutant les membres des deux gangs à ceux des autres organisations criminelles majeures, on obtient 71,9 % du total du nombre de yakuza sur l'archipel. (source : Nippon.com)

Graphique créé par Nippon.com sur la base des données de l’Agence nationale de la Police
Graphique créé par Nippon.com sur la base des données de l’Agence nationale de la Police

 

Les clans yakuza se distinguent par leur suffixe : Gumi est traduit par ''clan'' ou ''bande'', Ikka par ''famille'', Kai par ''club'' ou ''association'', Rengō par ''Coalition''. Tous ont un Daimon (代紋), un emblème héraldique équivalent au Kamon des familles de samurai. Celui-ci, apparu dès le XIIe siècle, est toujours utilisé. Chaque famille de Daimyō, comme, par exemple, les Tokugawa ou les Nobunaga, mais aussi de plus humbles, possédaient ce type de blason. Le Kamon, parfois appelé Mon (紋) de la famille impériale est le chrysanthème, utilisé depuis l'époque de Kamakura.

À l'heure actuelle, les quatre plus grands clans sont : le sixième Yamaguchi-gumi (六代目山口組), le Sumiyoshi-kai (住吉会), le Inagawa-kai (稲川会) et le Kobe Yamaguchi-gumi ((神戸山口組). À eux seuls, ils regroupent plus de la moitié des yakuza et associés du territoire japonais.

Le Daimon du Yamaguchi-gumi
Le Daimon du Yamaguchi-gumi

Ces familles pratiquent toujours la cérémonie d'intronisation, le Sakazuki (盃), du nom de la petite coupe dans laquelle l'Oyabun et le Kobun boivent le mélange de nihonshu (sake), de sel et d'arêtes de poisson, en silence, sous l'œil du prêtre shinto, mais peu de yakuza suivent le Ninkyōdō (1) à la lettre.

La plupart des clans fonctionnent encore sous le principe de la famille, où le chef de clan, le Kumichō (組長) (2) fait fonction de patriarche, d'où l'utilisation du terme Oyabun (親分), et protège les membres, les Kumi-in (組員) ayant acceptés le statut de Kobun (子分) que l'on peut traduire par ''enfant'', ''soldat'' ou ''apprenti''. Être Kobun n'est pas un titre ou une fonction en soi,. Souvent dans les articles, les auteurs, en parlant des Kobun, les qualifient de ''lieutenants''. C'est inexact, dans la hiérarchie yakuza, même le Shatei (舎弟), traduit par ''petit frère'', est un Kobun. Ce qui n'est pas le cas des apprentis, appelés Junkōseiin (準構成員).

Comme je l'ai déjà lu, je rappelle que Aniki (兄貴)  n'est pas un grade... Il s'agit juste d'un mot employé lorsqu'on s'adresse à quelqu'un de plus âgé et de plus haut dans la hiérarchie. Il est dérivé de ''Ani'', ''frère ainé'' en japonais. Toutefois, ce terme amène un certain rapprochement avec la personne, donc les yakuza font extrêmement attention à ne pas l'employer avec n'importe qui...

On remarque sur le tableau ci-dessous que le système mis en place par Taoka Kazuo est toujours d'actualité. Toutefois, cette hiérarchie est sujette à modification selon la taille du clan. Il va sans dire que l'organigramme du Yamaguchi-gumi sera plus étoffé que celui d'un clan subalterne. Ensuite selon que vous êtes un clan affilié, certains termes ou rôles sont modifiés... Par exemple, lors de sa rencontre avec Jérôme Pierrat en 2001, Kumigai Masatoshi est à la tête du Kumigai-gumi, groupe qu'il a fondé au sein de la famille Himonya-ikka, elle-même appartenant au Inagawa-kai. Il est en charge des négociations extérieures et prend la tête des opérations en cas de conflit et, dans le même temps, gère son Nawabari (縄張り) littéralement ''territoire'' ou ''zone d'influence'', le quartier de Musashi-Koyama, à Tōkyō.

Organigramme d'un clan © japansubculture.com
Organigramme d'un clan © japansubculture.com

 

Alors chef du gang Dewaya (qui a disparu depuis) situé dans le quartier d'Asakusa à Tōkyō, Ijichi Eiji résume bien les us et coutumes des yakuza dans le livre de Saga Junichi :

Il y avait des règles précises pour pratiquement tout - de la façon dont on salue quelqu'un au-dessous ou au-dessus de soi, la façon de parler aux gens, la façon d'indiquer que vous les écoutez, tout. C'est un monde féodal, très différent de la vie ordinaire extérieure. Et ça va même jusqu'à influencer les relations que vous avez avec les femmes.

Ijichi Eiji

© Anton Kusters
© Anton Kusters

Le Kobun doit fidélité au clan et travailler pour lui. Une partie de ses bénéfices est reversée à son supérieur, en fonction de son rang, lequel reverse à son propre supérieur, et ainsi de suite jusqu'à l'Oyabun.

En cas de faute, il risque de devoir se couper une phalange, le fameux Yubitsume (指詰め) et rendre le Sakazuki, se faire expulser et ne plus avoir de liens avec la pègre, voire se faire Seppuku, le suicide rituel hérité des rōnin. Toutefois, dans un pays où il ne fait plus bon être yakuza, les Yubitsume se font rares, même si, désormais, il existe des prothèses très réalistes, mais très onéreuses.

Autre tradition qui change peu à peu : l'Irezumi (入れ墨).

Même si les yakuza continuent de se faire tatouer le torse, le dos, les manchettes, voire le corps entier, le tatouage à la main laisse de plus en plus la place à la machine, plus rapide et moins douloureuse. À travers cet art, hérité des Bakuto, mais également des criminels qui, vers le début du XVIIIe siècle, étaient tatoués (on peut dire marqués) sur les bras ou le front, le yakuza prouve son appartenance et son allégeance au clan.

© Baron von Stillfried (époque Meiji)
© Baron von Stillfried (époque Meiji)
 

GIRI ET HAJI

Le Giri (義理) est un terme japonais difficile à comprendre pour un occidental. Il fait référence au devoir, à l'obligation sociale, mais Il est également associé aux valeurs japonaises complexes qui impliquent la loyauté, la gratitude et la dette morale. Selon le psychanalyste Doi Takeo (土居 健郎), le Giri peut être classé avec ces formes et actions qui situent le soi par rapport à la société, tandis que le Ninjō (人情) entre dans la catégorie du domaine intérieur et intime du soi. Le Giri ne concerne pas que les yakuza, le site Greelane.com donne des exemples du quotidien, comme les cartes du Nouvel An ou les cadeaux de fin d'année. Haji (恥) fait référence à la honte, l'humiliation. Il va sans dire que pour un yakuza, ces deux valeurs sont intimement liées.

Je ne peux que vous conseiller la série Netflix, Giri/Haji, qui voit Kenzo Mori, un policier de Tōkyō, enquêter à Londres tout en recherchant son frère devenu yakuza et disparu il y a un an...

Bande annonce de Giri/Haji

LA RELÈVE

Outre les gangs étrangers, les yakuza ont, depuis une dizaine d'années, de nouveaux concurrents, certains diraient successeurs... Plus violents, sans limites, ne respectant aucunes règles de la pègre, les Han-gure sont considérés comme les nouveaux truands japonais.

Les Han-gure (半グレ) seraient apparus vers 2009-2010.  Ces groupes seraient principalement constitués d'anciens Bōsōzoku (暴走族), les gangs de motards, et d'anciens Furyō (俘虜), les délinquants juvéniles dans les collèges et lycées, devenus adultes et refusant de rejoindre les yakuza (le manga Tokyo Revengers (2017) de Wakui Ken (和久井健), aux éditions Glénat, est l'archétype du genre Furyō, mettant en scène ce genre de délinquants).

En décembre 2012 Japan Times leur consacre un article où il est indiqué que ce terme a été inventé par Mizoguchi Atsushi, un journaliste d'investigation spécialisé dans la couverture du crime organisé, dans son livre ''Yakuza Hokai'' (La chute des yakuza). Le ''han'' signifie ''la moitié'' ; le ''gure'', lui, est dérivé de ''gureru'', un type d'argot inversé désignant le moment où les moitiés supérieure et inférieure des coquilles d'un mollusque ne correspondent pas et ne se ferment donc pas uniformément, c'est-à-dire un inadapté (source).

En 2021, pour Le Monde, Hirosue Noboru, criminologue, trouve ce terme « réducteur car il recouvre en fait un large éventail de délinquants qui ne sont en rien des “demi-truands'' ».

En effet, si, au début, leurs actions sont marginales, elles vont vite devenir un réel problème. En 2021, dans son article consacré au Han-gure, Blog à part rapporte l'incident survenu en janvier 2010, au milieu du tournoi du Grand Sumo. Le Yokozuna (横綱) mongol Asashōryū Akinori est impliqué dans une altercation, alors qu'il est ivre à Nishi-Azabu (Minato). Asashoryu échappe aux accusations de voies de fait, mais aurait ''dédommagé'' sa victime, un responsable de discothèque lié aux Han-gure. Plus tard, l'acteur de Kabuki, Ichikawa Ebizō XI (十一代目 市川 海老蔵), est grièvement blessé au visage, notamment d'une fracture de la pommette, dans une altercation nocturne - également à Nishi-Azabu. Son assaillant, un ancien membre du Kantō Rengō, un gang Bōsōzoku, a été condamné à 16 mois.

Attaques en pleine rue à visage découvert, arnaques, violences gratuite... Les han-gure sont devenus un véritable problème pour la police japonaise. Ils le sont également pour les yakuza, à qui ils piquent le business des bars à hôtesse, par exemple. Toutefois, selon certaines sources, la pègre traditionnelle reste un acteur majeur du monde du crime.

Dans son article ''Hangure: A New Generation of Gangsters Takes Over Japan’s Underworld'', Niko Vorobyov cite Martina Baradel, une chercheuse de l'Université d'Oxford qui étudie les yakuza : « Mon impression est que les yakuza contrôlent encore, directement ou indirectement, la plupart de ces rackets. [...] Bien sûr, il y a des endroits où, par exemple, il y a un vide de pouvoir ou où les gangs chinois sont plus forts que les yakuza locaux. Mais d’une manière générale, je pense que cette idée selon laquelle d’autres groupes prennent le relais est un peu exagérée. De nombreux Hangure sont d'anciens yakuza et entretiennent probablement encore des relations avec leurs groupes. C'est juste que beaucoup d'entre eux ont choisi de quitter [formellement] [leur organisation] parce que les peines de prison sont plus longues si l'on est affilié à un groupe yakuza. ».

Dans le même article, Nan Wang, chef du gang de rue des Dragons chinois à Tōkyō, explique « Autrefois, les Han-gure travaillait avec les familles yakuza. Mais au fil du temps, ils ont réalisé qu'il était plus avantageux pour eux de ne pas travailler avec les familles et de commettre des crimes seuls plutôt que d'impliquer une famille », avant d'ajouter « Mais ce qu'ils appellent désormais 'hangure' est une invention de la police et des médias, et non un nouveau type de groupe [du crime organisé]. »

NOTES

(1) La ''Voie chevaleresque'' héritée des rōnin qui consiste en neuf préceptes : Tu n'offenseras pas les bons citoyens ; Tu ne prendras pas la femme du voisin ; Tu ne voleras pas l'organisation ; Tu ne te drogueras pas ; Tu devras obéissance et respect à ton supérieur ; Tu accepteras de mourir pour le père ou de faire de la prison pour lui ; Tu ne devras parler du groupe à quiconque ; En prison tu ne diras rien ; Il n'est pas permis de tuer un katagi (personne ne faisant pas partie de la pègre).
(2) Le terme Kumichō (組長) désigne le chef de clan, donc nous l'utiliserons ici, mais d'autres termes peuvent être utilisés selon le type de famille, comme le fameux Oyabun (親分) que certains n'hésitent pas à traduire par ''Parrain'', ce qui est relativement faux. ''Père'' ou ''Patron'' serait plus juste.


SOURCES

japoninfos.com, kotoba.fr, franceculture.fr, 13emerue.fr, wikipedia.org, geo.fr, linkalearnsthings.wordpress.com, japanese-wiki-corpus.org, persee.fr, dossiers-bibliotheque.sciencespo.fr, letemps.ch, lesoir.be, lemonde.fr, xavier-raufer.com, wattpad.com, capital.fr, news.yahoo.co.jp, samurai-world.com, anomaly.fr, lopinion.fr, asahi.com, fnac.com  (pour les résumés des livres du chapitrre 8)

LES IMAGES DE CET ARTICLE, SAUF MENTION CONTRAIRE, SONT ISSUES DE WIKIPEDIA.ORG

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