Une brève histoire des Yakuza #3 Les années 1950 à 1990
20 sept. 2023Les yakusa de l'après-guerre véhiculent l'image de ''bons samaritains'' , prenant en charge les marginaux, les rejetés du système japonais. Beaucoup d'entre eux viennent des classes les plus défavorisées, ne l'oublions pas. Ils sont reconnus par la population et les autorités, participent aux fêtes, font des dons à l'occasion de mariages, de naissances, de décès, de l'ouverture de nouveaux magasins, allant jusqu'à se charger de la protection des populations et de la limitation de la délinquance urbaine, une sorte de police parallèle. Le tout avec l'aval de la police officielle...
Retrouvez l'intégralité du dossier via les liens ci-dessous.
#1 Des origines obscures
#2 De l'ère Meiji à l'après-guerre
#3 Les années 1950 à 1990
#4 1992, le début de la fin ?
#5 Les années 2000
#6 Et aujourd'hui ?
#7 Des familles (des)unies pour le meilleur et pour le pire
#8 Bibliographie sélective
Des citoyens comme les autres ? Pas vraiment...
Les yakuza sont désormais des touches à tout. Les familles s'étendent, à l'instar du Yamaguchi-gumi qui, sous la houlette de Taoka Kazuo (田岡 一雄), fonde des filiales. Le clan devient, dans les années 1960, la plus grande organisation criminelle du Japon, avec près de 10 000 hommes. Taoka Kazuo en profite pour débroussailler un peu la hiérarchie et créer des postes comme le lieutenant, le Wakagashira (若頭), et le sous-lieutenant, le Wakagashira-hosa (若頭補佐), déchargeant quelque peu le Kumichō (1), et ses conseillers les plus proches, de certaines tâches, comme le lien direct avec les subalternes. Il incite également ses hommes à fonder des entreprises légales. Lui-même met en place la Kōyō Transport, regroupant les compagnies de fret du port de Kōbe et investit dans le spectacle. D'ailleurs, Kōbe reste, à ce jour, la ville ou l'on recense le plus de yakuza et le port est l'une de leurs plus grandes activités, avec, entre autre, le contrôle de la main-d’œuvre ouvrière et des dockers.
C'est au début des années 1960 que la pègre atteint l'apogée de sa puissance, avec plus de 180 000 membres et associés répartis en quelques 120 gangs
L'État se sert allègrement des yakuza pour contenir les mafias coréennes et chinoises, qui, après la seconde Guerre mondiale et le départ des japonais de leur pays, ont commencé à étendre leurs activités dans l'archipel. En contrepartie, il ferme quelque peu les yeux sur les trafics de la pègre. Toutefois, les yakusa recourent à la mafia d'origine coréenne pour étendre leur domination à d'autres régions du Japon, Taoka Kazuo, n'hésitant pas à solliciter l'intervention de Yanagawa Jiro, kumichō du clan du même nom basé à Ōsaka et d'origine coréenne, afin de faciliter l'implantation de son gang à Nara, Kyōto et Fukuï. La mafia sud-coréenne devenant, en outre, l'un des principaux fournisseurs d'amphétamines de la pègre nipponne.
Parallèlement, la situation générale du pays se détériore, les grèves se multiplient et 1960 est l'année d’une immense protestation contre le Traité de coopération mutuelle et de sécurité entre les États-Unis et le Japon. Le patronat n'hésite pas à utiliser les services des familles. À l'instar de Kodama, Machii Hisayuki (町井 久之) profite de ses bonnes relations avec les autorités d'occupation américaines en raison de son attitude anti-communiste. Il crée son propre clan, le Tosei-kai, et fournit des briseurs de grève.
L'un des faits marquants concerne la grève des ouvriers de la mine de charbon de Miike, dans la préfecture de Fukuoka en 1960. Historiquement, l'exploitation du charbon dans la région remonte au milieu du XVIIIe siècle, lorsque le clan samurai Tachibana lance, pour la première fois, une petite industrie minière. L'entreprise est rachetée par la suite par la société Mitsui. Suite à la décision du gouvernement de réduire la production nationale de charbon au profit des importations, Mitsui annonce en 1959 qu'elle licenciera des milliers de travailleurs, dont 1 462 à la mine Miike. S'ensuit une grève violente de plus de 300 jours, qui voit, entre autre, le syndicaliste Kiyoshi Kubo poignardé à mort par l'un des yakuza venus à la rescousse de la police pour briser la grève.
Le 2 juin 1977, Kodama Yoshio, encore lui, se retrouve devant les juges dans l'affaire Lockheed. Inculpé sous six motifs d'accusation, dont le dernier est la fraude fiscale, il est accusé d'avoir, entre 1972 et 1975, dissimulé plus de 2 milliards de yens, dont 1,6 milliard lui a été versé par la firme aéronautique américaine. Si, finalement, Kodama ne verra jamais la prison, cette affaire de corruption, mêlant organisations criminelles et milieu des affaires japonais à la CIA, fait scandale. D'autant que des hommes politiques influents, dont le Premier ministre de l'époque, Tanaka Kakuei, sont impliqués.
LES YAKUZA ET LE SHOW-BUSINESS
Nous avons vu que les yakuza ont très longtemps été liés aux hommes politiques japonais. Certains le sont certainement encore. Mais il est un milieu avec qui la pègre nipponne a également de larges accointances, celui du spectacle et plus particulièrement du cinéma. Taoka Kazuo va jusqu'à écrire les scénarios et co-produire les deux films retraçant sa vie... Dans les années 70, beaucoup de stars s'affichent dans les soirées organisées par les yakuza. Takakura Ken (高倉健), la star des yakuza-eiga décédée en 2014, qui joua également dans plusieurs films internationaux comme Yakuza de Sydney Pollack ou Black Rain de Ridley Scott, ne cache pas vraiment ses liens avec la pègre, le producteur de certains de ses films n'étant que Taoka Mitsuru, le fils du Kumichō...
De nos jours, il est admis que la pègre, après le marché du X considéré comme plus rentable, s'est tournée vers le monde des idols, voire vers celui de l'animation et du doublage...
NOTES
(1) Le terme Kumichō (組長) désigne le chef de clan, donc nous l'utiliserons ici, mais d'autres termes peuvent être utilisés selon le type de famille, comme le fameux Oyabun (親分) que certains n'hésitent pas à traduire par ''Parrain'', ce qui est relativement faux. ''Père'' ou ''Patron'' serait plus juste.
SOURCES
japoninfos.com, kotoba.fr, franceculture.fr, 13emerue.fr, wikipedia.org, geo.fr, linkalearnsthings.wordpress.com, japanese-wiki-corpus.org, persee.fr, dossiers-bibliotheque.sciencespo.fr, letemps.ch, lesoir.be, lemonde.fr, xavier-raufer.com, wattpad.com, capital.fr, news.yahoo.co.jp, samurai-world.com, anomaly.fr, lopinion.fr, asahi.com, fnac.com (pour les résumés des livres du chapitrre 8)
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