Une brève histoire des Yakuza #5 Les années 2000

Marginalisés, les yakuza continuent de perdre du terrain,. Après les chinois, les coréens, puis les russes dans les années 1990, c'est au tour des gangs africains de s'implanter sur l'archipel. Toutes ces mafias n'ont que faire des mesures prises par les différents gouvernements et le bien être des ''civils'' n'est pas une priorité. Trafic de drogues, gestion  de boîtes de nuit illégales, notamment dans le quartier de Roppongi à Tōkyō, sont certaines des activités des Nigérians, par exemple.

Retrouvez l'intégralité du dossier via les liens ci-dessous.

#1 Des origines obscures
#2 De l'ère Meiji à l'après-guerre
#3 Les années 1950 à 1990
#4 1992, le début de la fin ?
#5 Les années 2000
#6 Et aujourd'hui ?
#7 Des familles (des)unies pour le meilleur et pour le pire
#8 Bibliographie sélective

La pègre japonaise, elle, continue ses trafics tout en tentant de redorer son blason auprès du public. Le Yamaguchi-gumi lance son site internet (fermé depuis). Son principal message concerne la lutte contre la drogue, mais il vante également la noblesse des yakuza et leur sens des responsabilités. Mais les yakuza restent des criminels, travaillant toujours dans l'ombre de certaines sociétés. Pour exemple, le groupe bancaire Mizuho a dû reconnaître en 2013 qu’il avait consenti quelque 230 prêts à des membres de la pègre.

Quelques années plus tôt, le 17 avril 2007, Itō Itchō (伊藤 一長), le maire de Nagasaki est assassiné en pleine rue par Shiroo Tetsuya (城 尾 哲 彌) chef du Suishin-kai, un groupe basé à Nagasaki et affilié au Yamaguchi-gumi. Abe Shinzō (安倍 晋三) , alors Premier ministre, déclare : ''Cet acte criminel pendant la campagne électorale pose un défi à la démocratie. Il ne peut aucunement être pardonné''. Shiroo explique son geste par le fait que la municipalité avait refusé d'accorder un prêt à une entreprise de construction à laquelle il était lié.

Pour beaucoup, cet acte marque la rupture du lien entre l'État à la pègre. Mais, comme nous l'avons vu plus haut, cela n'empêche pas les yakuza de continuer à mener leurs affaires.

En 2010, un scandale touchant le monde sportif démontre, une nouvelle fois, l'aspect tentaculaire des activités de la pègre. L'écurie de Sumo Kise (木瀬部屋) est dissoute et son Maître Higonoumi Naoya (肥後ノ海 直哉) est rétrogradé pour avoir offert des places au Honbasho de Nagoya au Kōdō-kai (弘道会). En effet, le sport, notamment la lutte japonaise appelée Puroresu (プロレス), le MMA et le Sumo, est devenu, au fil des années, l'un des revenus des gangs. Ils touchent un pourcentage sur les entrées, organisent des combats truqués, prennent des paris clandestins... Néanmoins, le trafic de drogue, dont les amphétamines (Shabu ou Meth) reste toujours leur activité la plus lucrative, devant le racket, les jeux et les paris et la prostitution.

À la fin août 2015, une secousse ébranle le monde de la pègre japonaise. Une partie du Yamaguchi-gumi fait scission pour former le Kobe Yamaguchi-gumi. Lui-même éclate à la fin avril 2017 pour engendrer le Ninkyô Yamaguchi-gumi.

Ces divisions ont encore de terribles répercussions.

Toutefois, la police ne relâche pas son étreinte sur les gangs et continue ses actions visant à freiner les opérations de la pègre. Ainsi, en novembre 2020, 14 personnes, dont 5 joueurs, sont arrêtées dans un casino clandestin du Yamaguchi-gumi, à Roppongi (Tōkyō). La police anti-gang saisit ainsi des tables de jeu, des jeux de cartes truqués et de l'argent. Cette fermeture est suivie de trois autres dans le même quartier. Cette affaire permet l'arrestation de Yamamoto Shizuka, membre du bureau exécutif du clan. Même si celui-ci est relâché après sa garde à vue de 23 jours, il devra répondre de nombreux chefs d'accusation.

COUP DE TONNERRE CHEZ LES YAKUZA

Le 24 août 2021, la cour du district de Fukuoka condamne Nomura Satoru (野村 悟), le chef du Kudokai, à mort. Son second, lui, écope d'une peine de prison à perpétuité. Une première au Japon.

Les deux hommes sont accusés de meurtre et de violation de la loi sur la répression du crime organisé, dans quatre affaires d'attaques violentes qui auraient impliqué le Kudokai.

À l'issue de ce procès qu'il juge non équitable, Nomura menace le juge et fait appel. En effet, bien qu'il n'y ait pas de preuves directes, les juges ont estimé, au vu de la construction du gang, qu’il était impossible que les deux accusés n’aient pas été mis au courant de ces actes violents. À suivre...

UN ARSENAL LÉGISLATIF PARFOIS DOUTEUX

Dans sa lutte constante contre le crime organisé, le Japon ne prend pas toujours les bonnes décisions. Ainsi, en 2017, le parlement adopte la très controversée loi anti-conspiration, malgré les inquiétudes des hommes politiques de l'opposition, du public, voire des experts des Nations-Unies (cf. plus bas), sur la façon dont la formulation vague du texte affectera les citoyens japonais ordinaires sans liens avec le crime organisé. Supposée prévenir les actes terroristes (pour information, elle est votée à l’approche des Jeux Olympiques de Tōkyō de 2020), cette législation définit 227 nouveaux crimes – dont certains n’ont aucun lien avec le terrorisme. Certains y voient un recul politique sans précédent.

Joseph Cannataci, Rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit au respect de la vie privée, et David Kaye, Rapporteur spécial sur la promotion et la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression, n'ont pas hésité à critiquer publiquement cette loi.

LES YAKUZA ET L'ENTRAIDE

On l'a déjà vu avec les marchés noirs après la seconde Guerre mondiale, les yakuza n'hésitent pas à trouver de nouvelles façons de s'enrichir, tout en aidant la population.

En 2011, au lendemain du séisme et du tsunami qui frappent le Japon, les yakuza envoient des marchandises et des centaines d'hommes aider les rescapés. Ainsi, l'Inagawa-kai distribue des tonnes de matériel aux communes sinistrées, tandis que le Yamaguchi-gumi dépêche des hommes pour surveiller les quartiers et faire la chasse aux criminels et autres pilleurs. D'autres clans, à l'instar du Sumiyoshi-kai vont jusqu'à ouvrir les portes de leurs bureaux ou de leurs entreprises aux réfugiés ou aux personnes bloquées, comme à Tōkyō. D'aucuns diront que ces aides n'étaient pas inintéressées, ne serait-ce que médiatiquement, et ils auront certainement raison, mais il faut bien avouer que la pègre a réagit bien plus vite et bien plus efficacement que les autorités. À l'époque, Jake Adelstein explique l'intérêt qu'ont les yakuza dans la région du Tohoku "Le crime organisé japonais détient 3 % à 4 % de l'industrie du bâtiment. En étant les premiers sur le terrain, ils espèrent pouvoir récupérer une part du marché de la reconstruction. Et en avançant vite leurs pions, ils n'auront pas à payer cher." (Source : Le Monde)

Dans son dernier livre (Tokyo detective paru chez Marchialy en 2023) l'ancien journaliste rapporte pourtant ce qu'un dirigeant du Sumiyoshi-kai, un gangster professionnel spécialisé dans l'extorsion de fonds, lui raconte suite aux évènements : " Dans des moments comme celui-ci, les divisions sociétales n'ont plus de sens. Les yakuza et les civils, ou les étrangers et les Japonais, ça n'existe plus. Nous sommes tous des Japonais. Nous vivons ici tous ensemble. Ily aura certainement de l'argent à se faire, à l'avenir. Mais pour l'instant, il s'agit seulement de sauver des vies et de s'entraider. La plupart des yakuzas sont des déchets humains. À peine 5 % d'entre eux observent nos règles. Mais dans ces moments-là, nous faisons de notre mieux. C'est l'un des rares moments où nous pouvons être meilleurs que nous ne le sommes habituellement. "

Même un haut gradé de la police d'lbaraki, s'exprimant sous couvert d'anonymat, en convient alors : « Je me sens obligé de rendre hommage aux yakuza. IIs sont descendus sur le terrain dès le premier jour, ils ont apporté leur aide là où d'autres ne pouvaient pas ou ne voulaient pas se rendre. La loi peut devenir une épée à double tranchant, parfois même, elle peut entraver les efforts des secouristes. Alors, il arrive que les hors-la-loi se trouvent en mesure d'agir plus rapidement que la loi. Ça a été le cas ici. ». Bien entendu, peu de policiers peuvent ou n'osent l'admettre : parfois, les yakuza peuvent se comporter comme leurs héros, les machi-yokko.

Jake Adelstein poursuit en citant justement un autre membre des forces de police, un inspecteur d'Ösaka appartenant à la brigade antigang : « Un des éléments de cette situation, c'est quelle implique une collecte de fonds. Les membres de la mafia savent très bien collecter de l'argent pour les funérailles de leurs camarades, ou pour toutes sortes d'événements. Ils demandent aux membres du gang d'un rang inférieur de participer à la collecte et, ainsi, ils réunissent de grosses sommes. IIs n'ont pas agi différemment dans ce cas précis. C'est simplement l'un des meilleurs moyens de s'approprier des sommes énormes sous notre nez. J'ai du mal à croire que toutes ces sommes récupérées seront consacrées à aider les victimes. Environ 10 % de l'argent finira sur les comptes du quartier général ou dans les poches de certains des boss. C'est aussi une entreprise de blanchiment d'argent. ».

Ce n'est pas la première fois que les yakuza font dans l'aide humanitaire. En 1995, par exemple, après le tremblement de terre de Kōbe, le Yamaguchi-gumi fait parvenir rapidement des vivres aux régions touchées et les distribuant aux habitants. En 2016, après le séisme de Kumamoto, Tatsuya Kiyosaki, chef du clan Daimon-kai, affilié au Yamaguchi-gumi, crée une cellule de crise. Et on peut continuer la liste longtemps.

Toutefois, en aucun cas, ces bonnes actions ne doivent nous faire oublier que les yakuza sont des criminels, mais elles leur permettent de redorer régulièrement leur blason auprès des japonais.

SOURCES

japoninfos.com, kotoba.fr, franceculture.fr, 13emerue.fr, wikipedia.org, geo.fr, linkalearnsthings.wordpress.com, japanese-wiki-corpus.org, persee.fr, dossiers-bibliotheque.sciencespo.fr, letemps.ch, lesoir.be, lemonde.fr, xavier-raufer.com, wattpad.com, capital.fr, news.yahoo.co.jp, samurai-world.com, anomaly.fr, lopinion.fr, asahi.com, fnac.com  (pour les résumés des livres du chapitrre 8)

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