Dans l’ombre des host clubs

Au cœur de la vie nocturne japonaise, les host clubs fascinent autant qu’ils inquiètent. Derrière leurs lumières tamisées, leurs décors luxueux et leurs jeunes hommes impeccablement coiffés, ces établissements dissimulent une réalité plus sombre que l’on évoque rarement. Aujourd’hui, je vous propose un éclairage sur ce phénomène très particulier, inspiré d’un article publié sur nippon.com.

Une soirée avec un hôte : flatteries, champagne… et additions salées

Les host clubs (ホストクラブ) et les hostess clubs (ホステスクラブ) sont souvent perçus comme des lieux glamour, où les hommes et les femmes divertissent les clients dans une atmosphère de luxe et de séduction. Cependant, derrière cette façade de fête et de sophistication, se cachent des pratiques beaucoup plus sombres, souvent liées à des activités criminelles qui ne sont pas immédiatement visibles pour les visiteurs. 

Dans un host club, des hôtes (ホスト) accueillent principalement des femmes, souvent seules, venues chercher une attention qu’elles ne trouvent pas ailleurs. L’expérience repose sur la séduction verbale, l’exclusivité d’un lien que l’on imagine unique, et des rituels festifs comme les champagne calls (シャンパンコール), où les bouteilles les plus chères sont sabrées dans une mise en scène bruyante et colorée.

Mais derrière cette atmosphère euphorique, les prix s’envolent. Une seule soirée peut coûter des centaines de milliers de yens. Les hôtes, souvent jeunes et très endettés eux-mêmes, dépendent directement de ce que leurs clientes dépensent. Leur salaire est à la commission, et la compétition entre eux est féroce.

Séduction, manipulation et addiction affective

Les hôtes développent une relation de proximité émotionnelle avec leurs clientes. SMS à toute heure, petites attentions, mots doux... tout est savamment orchestré pour fidéliser et faire consommer. En fin de mois, ces échanges s’intensifient : les hôtes cherchent à grimper dans le classement des ventes, véritable baromètre de prestige dans le milieu.

Pour les clientes, il s’agit souvent d’une forme de dépendance affective. Certaines, persuadées d’être "spéciales", n’hésitent pas à s’endetter pour soutenir "leur" hôte.

De leur côté, les hostess et les host peuvent être sous une pression intense. Dans certains cas, leurs dettes contractées pour entrer dans le milieu ou pour maintenir leur statut au sein des clubs peuvent les pousser à accepter des conditions de travail de plus en plus risquées et exploitées. Les comportements de manipulation psychologique, les pressions financières et la gestion des dettes sont des réalités souvent invisibles pour l'extérieur, mais qui sont omniprésentes dans cette industrie.

Par exemple, le dōhan (同伴) est une pratique courante dans les hostess clubs, où une hôtesse est encouragée à rencontrer son client en dehors du club, souvent pour dîner, avant de l’accompagner ensuite dans l’établissement. Officiellement, il s’agit d’un service "premium" : cela crée une relation plus personnelle et renforce la fidélisation. Mais dans la réalité, ce système peut devenir une source de pression intense. Des hôtesses contractent parfois des dettes auprès du club (achats forcés de robes, frais d’entretien...) et doivent compenser par des dōhan pour gagner suffisamment. Ce cercle vicieux peut mener à l’isolement et à une forme d’exploitation déguisée, voire à des dérives bien plus graves.

Le dōhan peut également glisser vers des situations ambiguës, voire des demandes de nature sexuelle, surtout lorsque l’établissement ferme les yeux sur ce qui se passe "hors club".

Au cœur de Kabukichō

Kabukichō, le quartier emblématique de la vie nocturne tokyoïte, abrite des dizaines de host clubs et hostess clubs, mais également des activités criminelles notoires. Il n'existe pas de chiffres précis, mais, selon Wikipedia, Kabukichō compte plus de 3 000 bars, clubs, love hôtels, salons de massage et autres lieux de divertissement pour adultes.

Bien que les yakuza (ヤクザ) aient historiquement dominé le secteur, la présence de gangs non affiliés est de plus en plus importante. Ces groupes plus petits sont impliqués dans des pratiques illégales telles que l'extorsion, le bottakuri et la manipulation financière des clients. Ces gangs, bien que moins organisés que les grandes organisations criminelles, exercent une pression similaire sur les clubs, créant un environnement dangereux pour les travailleurs et les clients.

Les yakuza, bien qu'ayant perdu de l'influence depuis la mise en place de lois d’exclusion comme l’Ordonnance d’exclusion des groupes criminels (暴力団排除条例) en 2011, continuent de contrôler certaines parties du marché, notamment en recevant des frais de protection. Les host clubs qui ne respectent pas cette dynamique sont parfois forcés de travailler dans l'ombre, subissant des pressions constantes de la part de ces groupes.

J'adore ce quartier, surtout le soir, mais il faut être vigilant. Lors de notre premier voyage, en 2017, mon neveu et moi-même avons été interpellés au moins trois fois en quelques minutes. Le dernier rabatteur, un africain de 2 mètres parlant français, fut très insistant, nous suivant sur quelques dizaines de mètres. Je peux donc comprendre que certains touristes finissent par craquer et acceptent la proposition de ce genre d'individus (souvent un prix bas pour un nombre illimité de boissons). Certains influenceurs font leur beurre sur cette ambiance, montrant un Kabukichō "doré", mais n'oublions pas les réalités du terrain. Selon le site Japanization, en 2019, 40% des établissements de Kabukichō arnaquaient leurs clients... Et ce n'est pas les patrouilles misent en place depuis quelques années qui changent quoi que ce soit.

Les pratiques de bottakuri et l’exploitation des clients et travailleurs

Le terme bottakuri (ぼったくり) désigne une arnaque par surfacturation, où le client, souvent un touriste ou une personne isolée, est attiré dans un bar, un club ou un snack par une hôtesse, un rabatteur ou une publicité alléchante, avant de se voir présenter une note exorbitante à la fin de la soirée.

Dans certains cas, les victimes se retrouvent face à des menaces physiques ou psychologiques si elles refusent de payer. Il n’est pas rare que des membres de gangs (qu'ils soient affiliés aux yakuza ou non) soient impliqués dans ces systèmes, agissant comme "agents de sécurité" du club. Certaines victimes sont même escortées jusqu’à un distributeur automatique pour payer sur-le-champ.

Depuis quelques années, les autorités japonaises tentent de lutter contre le bottakuri, en multipliant les contrôles, en interdisant les kyakuhiki (客引き), les rabatteurs, dans certaines zones, ou en publiant des listes d’établissements suspects à éviter. Mais malgré cela, la pratique persiste, surtout dans les zones touristiques animées.

À Roppongi, quartier cosmopolite et animé, des host clubs et des bars sont également liés à des réseaux criminels similaires, bien que l'intensité de l'influence des gangs y soit souvent moins prononcée que dans Kabukichō. À Ikebukuro, la situation est un peu différente, avec une mixité de clientèles et de pratiques qui peuvent aussi être influencées par des groupes criminels, bien que ces quartiers ne soient pas aussi réputés que Kabukichō pour ces activités.

Le revers de la médaille : dettes et dérives

Pour en revenir aux host clubs, le système, en apparence libre, peut rapidement devenir toxique. Certaines femmes, happées par ce lien fictif, vont jusqu’à contracter des prêts illégaux ou travailler dans des établissements de services sexuels pour rembourser leurs dettes. Les hôtes eux-mêmes les y incitent parfois, directement ou indirectement.

Et si la législation encadre en théorie les host clubs, dans la pratique, les dérives sont difficiles à contrôler. Prêts usuraires, consommation à crédit, intimidations... les mécanismes de pression sont nombreux.

Entre janvier et septembre 2023, la police métropolitaine de Tōkyō a arrêté 80 femmes âgées de 20 à 46 ans pour des infractions liées à la prostitution autour du parc Ōkubo. Parmi elles, 40 % ont déclaré s'être prostituées pour rembourser des dettes contractées dans des host clubs ou des cafés d'idoles

Ces situations dramatiques ne sont pas anecdotiques. Elles révèlent un mal profond : celui de la solitude dans la société japonaise contemporaine, du manque d’écoute, du besoin d’attention. Tant que ces vulnérabilités ne seront pas prises en compte, les host clubs continueront à prospérer sur ce terreau fragile.

Un projet de loi

Face aux dérives liées aux host clubs, le gouvernement japonais a adopté en mars 2025 un projet de loi visant à mieux protéger les clientes contre les abus psychologiques et financiers. Cette initiative fait suite à de nombreuses affaires impliquant des femmes poussées à contracter des dettes colossales, voire à se prostituer pour financer leurs visites régulières dans ces établissements. La loi entend interdire les tactiques de manipulation affective souvent employées pour inciter à la consommation excessive d’alcool ou à l’achat de bouteilles à prix exorbitant.

Les autorités espèrent ainsi mieux contrôler un secteur largement opaque, en obligeant notamment les établissements à fournir des contrats écrits détaillant les conditions de paiement. Cette mesure vise aussi à responsabiliser les clubs en cas de litige, et à limiter l’exploitation des femmes les plus vulnérables. Le texte prévoit enfin des sanctions à l’encontre des établissements contrevenants, allant jusqu’à leur fermeture administrative.

Au final, les host clubs incarnent un paradoxe de la société japonaise moderne : lieux de rêve et d’évasion pour certains, ils cachent une mécanique bien huilée où séduction, argent et solitude s’entrelacent dangereusement. Leur succès révèle autant la fragilité de certains individus que l’ingéniosité d’un système fondé sur la dépendance émotionnelle.

Le youtubeur Tev a réalisé une vidéo sur la problématique liée aux hosts en 2019.

Le Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères met en garde contre certaines pratiques frauduleuses dans les quartiers animés de Tōkyō. Des établissements tels que les host clubs et les hostess clubs peuvent être associés à des activités illégales, mais pas que...

Par exemple, bien que les maid cafés (メイド喫茶) soient généralement perçus comme des lieux inoffensifs et ludiques où des serveuses déguisées en soubrettes accueillent les clients avec gentillesse, certains établissements, surtout dans les zones très touristiques comme Akihabara (秋葉原), peuvent pratiquer des formes de surfacturation abusives, proches du bottakuri.

Les arnaques les plus courantes

Voici une liste des arnaques que vous pourriez rencontrer dans un club, un bar, un izakaya... Cette liste se veut non exhaustive.

Les rabatteurs et les bars à piège

Des rabatteurs, souvent étrangers ou peu scrupuleux, abordent les passants (souvent des touristes ou des hommes seuls) avec des offres alléchantes : boissons à volonté, le nomihōdai (飲み放題), "free entry"... Une fois dans le bar, les règles changent : le nomihōdai est limité à une boisson, ou bien les hôtesses commandent des bouteilles hors forfait.

Les frais cachés

Certains établissements ajoutent des frais totalement inventés à l’addition finale, comme des frais d’animation, une taxe pour la musique, des pourboires obligatoires, voire un supplément pour avoir parlé à une hôtesse ou un hôte...

L'arnaque au menu

Certains établissements pratiquent le menyū sagi (メニュー詐欺), l'arnaque au menu, qui consiste à indiquer des prix trompeurs ou volontairement ambigus ou à cacher certains frais, comme des frais de siège ou des frais de service. Une variante, le nise menyū sagi (偽メニュー詐欺) consiste à utiliser un menu attractif, montré à l’entrée ou par un rabatteur, avec des prix raisonnables pour appâter la victime. Une fois à l’intérieur, un autre menu (ou aucun menu du tout) est présenté, souvent sans prix clair, ou avec des frais "additionnels" (par exemple, "frais d'animation", "frais de conversation", ou "taxes de champagne"). Si le client se plaint au moment de l’addition, on lui montre un menu différent pour justifier la surfacturation.

Il existe aussi une petite variante, l'arnaque à l’otsumami (おつまみ詐欺). Dans certains établissements, une petite collation (souvent minuscule) est automatiquement servie à l’arrivée, ce "service" n’est pas mentionné sur le menu, ni annoncé et son prix est exagérément élevé (parfois plus de 2000 yens pour 3 crackers et du wasabi). Si le client refuse ou ne touche pas au plat, il est quand même facturé.

Le droit de charge

Ceci est un peu particulier, vous allez comprendre. Dans de nombreux bars, izakaya ou clubs – y compris dans les host clubs et hostess clubs – il est courant de devoir payer un droit de charge, appelé chāji ryōkin (チャージ料金). Ce frais est légal : il s’agit d’un montant forfaitaire (souvent entre 500 et 1 500 yens) qui couvre l’accès au lieu, le service et parfois un otsumami, comme des edamame ou des chips de poisson. Ce droit doit être annoncé clairement, que ce soit à l’entrée ou sur la carte. S’il est correctement indiqué, il ne constitue pas une arnaque. 

En revanche, certains établissements peu scrupuleux pratiquent des surfacturations abusives. Ces arnaques incluent souvent des frais cachés, des boissons prétendument commandées... Le client peut, s'il ne veut pas payer, subir des menaces. Par exemple, un homme imposant (parfois affilié à un gang) intervient pour "négocier". Il joue la comédie du médiateur, mais son rôle est uniquement d’intimider pour forcer le paiement.

En ce qui concerne les clubs, France Diplomatie indique que, dans certains cas, des clients ont été drogués à leur insu avec des substances comme le GHB, les rendant vulnérables au vol ou à d'autres abus.​ Cette pratique reste rare, heureusement, mais dangereuse, et souvent impunie faute de preuve.

Ajoutez à cela les vols ou abus de carte bancaire où certains clubs peu scrupuleux prélèvent des sommes bien supérieures à ce que le client a signé, ou bien font plusieurs paiements en douce, le commande automatique d’alcool où l’hôtesse commande automatiquement des boissons "pour elle", sans demander l’avis du client...

Pour finir,, n'oubliez pas que les prix affichés sont, le plus souvent, hors taxes. Vous devrez donc ajouter 10% à votre facture.

Cette liste n'est pas faite pour vous faire peur, mais un voyageur avisé en vaut deux. Méfiez-vous des offres trop alléchantes.

CONSEILS POUR LES VOYAGEURS

Voici quelques recommandations, libre à vous de les suivre.

  • Évitez les rabatteurs : ne suivez pas les personnes qui vous abordent dans la rue pour vous inviter dans un établissement. Un club réputé n'a pas besoin de ce genre de pratique.
  • Privilégiez les lieux réputés : choisissez des bars ou clubs recommandés par des sources fiables ou des locaux.
  • En cas de doute, consultez les avis en ligne : Des plateformes comme Google Maps, TripAdvisor ou Tabelog (食べログ) peuvent fournir des retours d'expérience d'autres clients.
  • Vérifiez les prix : assurez-vous que les menus et les tarifs sont clairement affichés avant de commander.
  • Surveillez vos boissons : ne laissez jamais votre verre sans surveillance et méfiez-vous des consommations offertes par des inconnus.
  • En cas de problème, contactez immédiatement un kōban (交番), un poste de police de proximité, ou appelez le 110.​

Pour plus d'informations et de conseils, consultez la page dédiée aux conseils aux voyageurs pour le Japon sur le site de France Diplomatie. L'application Safety tips, développée par l'Office national du tourisme japonais, offre des alertes en cas de catastrophes naturelles, mais inclut également des conseils de sécurité générale.

À LIRE

Suzy K. Quinn est une autrice britannique qui a exploré le monde des hostess clubs japonais à travers son roman Night Girls (uniquement disponible en anglais). Ce thriller psychologique, publié en 2012, s'inspire de son expérience personnelle en tant qu'hôtesse au club Casablanca dans le quartier de Roppongi.

Le roman suit l'histoire de Steph, une jeune femme britannique à la recherche de son amie disparue, Annabel, qui travaillait comme hôtesse au Japon. L'intrigue plonge le lecteur dans l'univers des hostess clubs, mettant en lumière les aspects sombres et méconnus de cette industrie. Quinn dépeint un monde où les apparences glamour cachent souvent des réalités plus troublantes, notamment des pressions psychologiques et des dangers potentiels liés aux interactions avec certains clients .​

Dans le documentaire Missing: The Lucie Blackman Case, dont je vous ai déjà parlé, Quinn partage ses réflexions sur son expérience en tant qu'hôtesse. Elle souligne que, bien que les hostess clubs soient souvent perçus comme des lieux de divertissement, ils peuvent exposer les femmes à des situations risquées, en particulier lorsqu'elles acceptent des rendez-vous en dehors du club, connus sous le nom de dōhan.​

Night Girls a été salué pour sa représentation réaliste et immersive de la vie nocturne tokyoïte. Des critiques ont décrit le roman comme un "thriller psychologique de voyage" qui offre une plongée captivante dans un monde souvent méconnu des Occidentaux. Ce livre constitue une lecture essentielle pour ceux qui souhaitent comprendre les complexités et les défis auxquels sont confrontées les femmes travaillant dans les hostess clubs au Japon.

SOURCES

nippon.com, japantimes.co.jp, japantimes.co.jp, tokyohive.com

PHOTO DE COUVERTURE

Kabukichō © Tristan - 2017

LES IMAGES DE CET ARTICLE, SAUF MENTION CONTRAIRE, SONT LA PROPRIÉTÉ DE ''LE JAPON ET MOI''

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