Assassin’s creed Shadows : Yasuke, entre mythe et réalité

Avec la sortie du nouvel opus de la série Assassin’s creed, je ne peux pas manquer de revenir sur certains points, d’autant que, par exemple, l’utilisation de Yasuke a fait couler pas mal d’encre, et ce même au Japon. Mais, n’en déplaise aux haters et aux extrémistes, qui considèrent que 1) Ubisoft tombe dans le wokisme et/ou 2) s’il a bien existé, l’impact de Yasuke est inexistant, voire 3) qu’il s’agit d’une pure invention marketing… 

L’ancien esclave a bel et bien vécu au Japon et ce même si, ne nous le cachons pas, son histoire, quoique partiellement documentée par des sources japonaises et européennes d’époque, reste entourée de mystères et de mythes.

Parenthèse en ce qui concerne AC Shadows. Ubisoft martèle, et ce depuis longtemps - on se souvient de AC Unity et des réactions de certains politiques français - que ce sont, justement, des jeux vidéo, et non des livres d’histoire. Shadows ne fait pas exception, et, pour ma part, j’essaye de ne pas en tenir compte lorsque j’y joue. Bon, j’avoue, certaines erreurs étaient évitables. Par exemple, où Ubi a vu que les samurai passaient leur temps en armure ? (je l’avais déjà remarqué dans d’autres jeux, cela dit), même si je comprends que cela soit plus intéressant visuellement qu’un samurai en kimono… Et, dès le prologue, on aperçoit Toyotomi Hideyoshi avec une armure qu’il n’aura, selon certaines sources, que bien des années plus tard, et dont le casque est exposé au Hideyoshi & Kiyomasa Memorial Museum de Nagoya (名古屋市秀吉清正記念館).

© Ubisoft
© Ubisoft

On y croise également Nene (ねね), la femme de Hideyoshi justement et Mori Ranmaru (森 蘭丸), qui auront certainement un impact sur l'histoire du jeu, le second mourant lors de l’incident du Honnō-ji (本能寺の変), provoqué par Akechi Mitsuhide (明智光秀) qui accueille les personnages. Ne m'accusez pas de spoiler, ce sont des faits historiques...

© Ubisoft
© Ubisoft

Bien entendu, tout ceci n'est qu'accessoire, AC Shadows n'étant qu'un simple divertissement.

Les origines de Yasuke (弥助)

Comme dit plus haut, on ne sait rien ou presque de sa vie, même lorsqu'il était sous les ordres de Nobunaga.

Les premiers écrits mentionnant Yasuke, nom donné par les japonais (1), proviennent des rapports des jésuites, en particulier ceux de Luís Fróis, prêtre jésuite portugais arrivé au Japon en 1563.

Alessandro Valignano
Alessandro Valignano

Son origine exacte reste incertaine, mais plusieurs historiens s’accordent à dire qu’il venait probablement du Mozambique. Toutefois, d’autres hypothèses le situent en Éthiopie, au Nigeria ou ailleurs en Afrique de l’Est. 

Enlevé par des trafiquants d’esclaves, il est vendu à des négriers portugais qui l’emmène jusqu’en Inde, à Goa, alors colonie portugaise. Il est ensuite amené au Japon, en 1579, par des missionnaires jésuites portugais, notamment Alessandro Valignano, responsable des missions en Asie, auprès duquel il est en service.

En 1581, Yasuke accompagne justement Valignano à Kyōto, où sa présence suscite une grande curiosité. Intrigué, le Daimyō Oda Nobunaga (織田 信長), alors au sommet de sa puissance, souhaite le rencontrer.

Selon les chroniques, Nobunaga pense initialement que la peau de Yasuke est teintée et aurait demandé à vérifier sa couleur en le frottant. Puis, impressionné par la stature imposante et la force de l’homme, Nobunaga le prend à son service, quand Valignano quitte le Japon. 

Dans son journal, Ietada nikki (家忠日記), Matsudaira Ietada (松平 家忠) dit de lui : "Il mesurait six shaku et deux sun (2). Il était Noir… et sa peau était comme du charbon de bois."

Son surnom Kuru-san (Monsieur noir) vient d'ailleurs de sa couleur de peau.

Arrivée de commerçants Portugais accompagnés de leurs esclaves africains, byōbu réalisé vers 1600 par Kanō Naizen.
Arrivée de commerçants Portugais accompagnés de leurs esclaves africains, byōbu réalisé vers 1600 par Kanō Naizen.

Son service auprès d’Oda Nobunaga

Portrait par d'Oda Nobunaga par Kanō Sōshū (1583)
Portrait par d'Oda Nobunaga par Kanō Sōshū (1583)

Yasuke aurait rapidement gagné la confiance de Nobunaga, qui l’aurait nommé samurai. Le Seigneur lui aurait même offert une résidence et un sabre, signes de son statut élevé. Certains historiens avancent qu’il aurait même pu être nommé Hatamoto (旗本), un garde personnel proche du Daimyō. Encore une fois, c'est sujet à caution.

En 1582, Nobunaga est trahi par Akechi Mitsuhide et se fait Seppuku lors de l’incident du Honnō-ji. Selon certaines sources, Yasuke accompagne Nobunaga et préfère se battre que de se faire seppuku. Il aurait donc été fait prisonnier.

Dans son rapport, Luis Frois écrit : "Pour Akechi Mitsuhide, Yasuke n’est pas un homme, c’est un animal. Il n’est donc pas la peine de le tuer. Il faut le renvoyer en Inde chez les prêtres.". Nul ne sait ce qu'il advient de lui après, peut-être a-t-il été renvoyé ou exécuté.

On perd donc totalement sa trace, et son sort final reste inconnu. Ce qui laisse le champ libre aux spéculations et donne à Ubisoft un bon prétexte pour inventer ses aventures, et bien que le jeu prenne des libertés historiques, il contribue à populariser Yasuke auprès du grand public.

© Ubisoft
© Ubisoft

Polémiques et débats

L’utilisation de Yasuke dans AC Shadows suscite de nombreuses polémiques, que ce soit au Japon, comme en Occident. Dès sa présentation, des débats ont émergé sur les réseaux sociaux et dans certains cercles nationalistes japonais, contestant l’idée qu’un étranger ait pu atteindre un statut élevé au sein de la société féodale japonaise.

À l’AFP, Pierre-François Souyri, historien spécialiste du Japon et consultant sur le jeu d’Ubisoft indique : "Le parti pris du jeu, c'est de dire qu'il était samurai", avant d’ajouter : "Ce n’est pas une thèse universitaire. ".

Goza Yuichi, professeur assistant au Centre international de recherche sur les études japonaises à Kyōto, lui, estime que "rien ne prouve que Yasuke possédait de telles compétences" et que "Yasuke se distinguait surtout par sa couleur de peau et sa force physique". Ce spécialiste du Japon médiéval, jugeant plus probable qu' "Oda Nobunaga ait gardé Yasuke à ses côtés pour en faire un spectacle".

Des figures politiques japonaises, notamment au sein du Parti libéral-démocrate (PLD), ont critiqué l’internationalisation du personnage, arguant que la culture populaire ‘’détourne son histoire pour des raisons modernes’’. D’autres critiques viennent du monde du jeu vidéo et du cinéma, où Yasuke est parfois présenté comme un personnage idéalisé, éloigné des réalités historiques.

Le milliardaire Elon Musk, qui n’est pas avare de polémiques, me direz-vous, va même jusqu’à répondre à un message critique sur une supposée orientation woke du jeu : "DEI (Diversité, équité, inclusion) tue l’art".

De fausses informations circulent également, comme celle arguant que le Premier ministre japonais, Ishiba Shigeru, lui même, aurait déclaré que la France insultait gravement le Japon...

Dernière polémique en date, le fait que le joueur puisse détruire des objets de culte. Si, pour ma part, je ne trouve pas cela malin de la part d’Ubi qui devait bien se douter que son jeu serait scruté à la loupe par les japonais, très respectueux de la religion, cela prouve également que tout est prétexte à controverse dans cette histoire. Selon Kada Hiroyuki, député du PLD, ce genre de scène pourrait "encourager des actes similaires dans le monde réel". Sur cet aspect, Goza Yuich souligne : "Je comprends le principe de laïcité en France, mais il est important de reconnaître que les insultes irréfléchies à l'égard de la religion peuvent provoquer de fortes réactions". Je sais que certains touristes font n’importe quoi, mais là… on toucherait le fond...

Ubisoft a donc sorti un patch correctif, et la version japonaise a même été censurée, et classée en catégorie CERO Z, l'équivalent de notre PEGI 18, car jugée trop violente.

Pour finir, dans son rapport publié en février, l’Observatoire européen du jeu vidéo relève que cette controverse aurait été "amplifiée par les réseaux sociaux", notamment par une frange marginale de personnes identifiées comme proches des idées conservatrices et qui dénoncent régulièrement "la présence de personnages inclusifs". (Source)

Pour moi, Yasuke reste un personnage historique intéressant, illustrant la diversité et la complexité des interactions entre le Japon et le reste du monde, à une époque où le Japon ne commerçait pratiquement qu'avec la Chine et la Corée. Si Ubi avait choisi Williams Adams, navigateur anglais, qui, quelques années plus tard, connait un destin similaire sous Tokugawa Ieyasu, aurions-nous cette discussion ?

J'espère que ce petit article vous aura plus. J’ai également prévu un post sur les Shinobi et la province d’Iga, vu que l’autre personnage principal, Fujibayashi Naoe (藤林尚恵) est une femme shinobi, une Kunoichi (くノ一).

© Maître Jean-Jacques

BIBLIOGRAPHIE SÉLECTIVE

LIVRES

African Samurai: The True Story of Yasuke, a Legendary Black Warrior in Feudal Japan, de Thomas Lockley et Geoffrey Girard (2019)
Un des ouvrages les plus complets sur Yasuke, analysant son parcours historique et son rôle sous Oda Nobunaga.

Histoire ecclésiastique des isles et royaumes du Japon, de François Solier (1627)
Un des premiers récits mentionnant Yasuke, écrit par un missionnaire jésuite de l’époque.

Yasuke: The African Samurai, de Serge Saint-Michel (2021)
Un essai détaillant les sources et les mythes entourant Yasuke.

Yasuke, le samouraï africain, de Romain Mielcarek (2024)
Docteur en sciences de l'information et de la communication, Romain Mielcarek a épluché toute la littérature scientifique sur le sujet : des biographies des chefs de guerre de l'ère Sengoku aux enjeux liés au missionariat jésuite en Asie orientale.

Shinchōkōki (信長公記), d'Ōta Gyūichi (太田牛一)
Chronique de la vie de Oda Nobunaga, où Yasuke est mentionné comme un homme noir qui servait Nobunaga.

Tōdaiki (当代記)
Chronique anonyme de l’époque Azuchi-Momoyama, cet ouvrage historique couvre la période de Nobunaga, mentionne brièvement Yasuke.

Frois Nihonshi (フロイス日本史), de Luís Fróis
Les récits de Luís Fróis, le missionnaire jésuite, qui décrit l’arrivée de Yasuke et sa rencontre avec Nobunaga.

BANDES DESSINÉES

Kurusan, le samouraï noir – Tome 1 : Yasuke, de Thierry Gloris et Emiliano Zarcone (2021)
Une bande dessinée retraçant la vie de Yasuke avec une approche romancée et dynamique.

Afro Samurai, de Takashi Okazaki
Bien qu’inspiré indirectement de Yasuke, ce manga explore l’idée d’un samouraï noir dans un univers mêlant Japon féodal et science-fiction.

Yasuke, le samouraï noir, de Takashi Okazaki et Jérémie Périn
Un comics reprenant la légende de Yasuke avec une esthétique et un style narratif proches du manga.

ANIME

Yasuke (2021)
Diffusée sur Netflix, cette série techno-futuriste a été créée par LeSean Thomas.

JEUX VIDÉO (outre Assassin’s Creed Shadows)

Nioh (Koei Tecmo, 2017)
Yasuke apparaît en tant que boss optionnel dans cet action-RPG inspiré du Japon féodal.

Samurai Warriors 5 (Koei Tecmo, 2021)
Yasuke est un personnage jouable dans ce jeu de combat historique.

NOTE

(1) Son véritable nom n’est pas connu. Celui donné par Ubisoft serait donc une pure invention.
(2) Soit, environ, 1,88 mètres.

IMAGE D'ILLUSTRATION

© Ubisoft

Retour à l'accueil

Partager cet article

Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article