Sans véritable suspens, la Diète a confirmé le 21 octobre 2025 ce que tout le monde attendait : l’accession de Takaichi Sanae (高市早苗) au poste de Première ministre. Pour la première fois dans l’histoire du pays, une femme prend la tête du gouvernement. Un moment symbolique, mais aussi profondément politique, qui marque la continuité d’un pouvoir conservateur déjà bien installé.
Tout commence le 4 octobre 2025, lorsque Takaichi remporte la présidence du Parti libéral-démocrate, succédant à Ishiba Shigeru (石破茂) après sa démission. Dans le système parlementaire japonais, ce résultat équivaut presque à une désignation automatique : le chef du parti majoritaire devient Premier ministre. Lorsque la Chambre basse se réunit le 21 octobre 2025 pour voter, l’issue ne fait donc aucun doute. Takaichi est élue sans surprise, devenant la première femme à diriger le gouvernement japonais
Originaire de Nara et née en 1961, Takaichi Sanae s’inscrit dans la droite nationaliste japonaise. Proche de l’ancien Premier ministre Abe Shinzō (安倍晋三), dont elle partage l’héritage idéologique, elle milite pour une révision de la Constitution pacifiste et un renforcement des capacités de défense du pays.
Voir une femme accéder à la plus haute fonction politique du pays a une portée historique évidente. Pourtant, la société japonaise n’attend pas nécessairement une révolution. Takaichi n’a jamais revendiqué le féminisme : elle se présente comme une dirigeante pragmatique, attachée aux traditions et à la stabilité.
Son élection illustre davantage l’évolution lente du PLD que celle du rapport entre les sexes au Japon. Le symbole est fort, mais il ne s’accompagne pas d’une transformation de fond.
Derrière cette victoire éclatante, le pouvoir de Takaichi reste fragile. Le PLD ne dispose plus de la majorité absolue à la Diète et doit s’appuyer sur une coalition avec le Nippon Ishin no Kai (日本維新の会) (1). Cette alliance, plus tactique que naturelle, risque de rendre la gouvernance difficile.
"Et voilà. Sanae Takaichi devient Première ministre du Japon… sans avoir été élue par le peuple !"
Le constat de Mr Japanization sur Facebook résonne fort. Derrière l’apparence d’un moment historique, il n’y a pas eu, en réalité, d’élection populaire. Takaichi Sanae accède au pouvoir par le jeu interne du Parti libéral-démocrate, au pouvoir presque sans discontinuer depuis soixante-dix ans. Bien entendu, cette situation n’est pas propre au Japon : dans la plupart des régimes parlementaires, comme au Royaume-Uni ou au Canada, le chef du gouvernement est désigné par la majorité parlementaire. Mais ici, la domination durable du Parti libéral-démocrate rend le processus plus proche d’une succession interne que d’un véritable choix démocratique.
C’est ce que dénonce le média indépendant, qui pointe aussi les affinités idéologiques de Takaichi avec l’extrême droite japonaise. Proche du mouvement Nippon Kaigi (日本会議) (2), elle partage avec lui une vision nationaliste du Japon : réarmement, révision de la Constitution pacifiste, rejet des minorités et défense d’un modèle social traditionnel où la place des femmes reste cantonnée à la famille.
Son ascension, applaudie à l’étranger comme une victoire symbolique pour la représentation féminine, masque selon lui un projet de société profondément conservateur. Dans un pays déjà épuisé par la sur-productivité et la précarité, cette ligne politique apparaît comme un retour en arrière plus qu’une promesse de renouveau.
"Tant que ce sera pour appliquer les mêmes recettes néolibérales depuis cinquante ans, en pire, ce ne sera pas une avancée pour les femmes ni pour les hommes."
Difficile de ne pas partager ce constat, même en gardant à l’esprit que le système politique japonais, fondé sur la stabilité et la continuité, rend tout changement réel presque impossible.
(1) Le Nippon Ishin no Kai ou Japan Innovation Party (日本維新の会) est un parti politique japonais fondé en 2015 à Ōsaka. Il se positionne comme libéral sur le plan économique et conservateur sur le plan social, prônant la décentralisation du pouvoir, la réforme de l’administration et une politique budgétaire stricte. Héritier du mouvement réformateur lancé par Hashimoto Tōru (橋下徹), ancien gouverneur d’Ōsaka, le parti cherche à incarner une droite “modernisatrice”, plus agressive dans ses réformes que le Parti libéral-démocrate, tout en partageant avec lui une vision nationaliste et sécuritaire du Japon.
(2) Nippon Kaigi (日本会議) est le principal lobby nationaliste du Japon, fondé en 1997. Il regroupe des parlementaires, des chefs d’entreprise et des religieux shintō autour d’un même objectif : restaurer les “valeurs traditionnelles” du Japon d’avant-guerre. L’organisation milite pour réviser la Constitution pacifiste, renforcer l’armée, promouvoir le patriotisme à l’école et réhabiliter la figure impériale. Très influent au sein du Parti libéral-démocrate, il a longtemps compté parmi ses soutiens l’ancien Premier ministre Abe Shinzō (安倍晋三) — et désormais Takaichi Sanae (高市早苗).
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