Des guerrier(es) légendaires
02 oct. 2023Certains bushi me paraissent incontournables dans l’Histoire du Japon. J’en avais déjà cité dans l’article « Samurai et bushi, même combat ? », vous les retrouverez ici, et j’en ai ajouté d’autres.
AVANT-PROPOS
Pour ceux qui se posent des questions sur ma façon de transcrire le japonais, les voyelles longues sont signalées par un macron (un o long s’écrit donc ō, comme pour Tōkyō) et je n’utilise pas de pluriel (47 rōnin et non 47 ronins), car le japonais n’en comporte pas, et ce même pour les mots « francisés ». Je cite mes sources en fin d’article. Je fais beaucoup de recherches, je lis beaucoup de biographies, d’essais…, mais, selon les sources justement, il peut arriver que cela diffère de ce que vous avez pu lire ailleurs par exemple. Je ne m’en excuse pas, mais j’essaie, au maximum, de croiser les propos pour transcrire la meilleure version possible du sujet. Sur ce, bonne lecture !
MINAMOTO NO YOSHIIE (源義家) — 1039-1106
On commence par un Minamoto, et pas n’importe lequel. D’aucuns diront que Minamoto no Yoshiie est l’un des membres les plus influents de ce clan descendant directement de l’Empereur. En effet, tout comme pour les Taira, il était d’usage que celui-ci donne ce titre honorifique aux princes non éligibles à la succession. Ainsi, l’Empereur Saga (嵯峨天皇) — 786-842 accorde le titre héréditaire de « Minamoto no Ason » à 33 de ses 50 enfants, en 814.
Minamoto no Yoshiie fait ses armes durant la Guerre de Zenkunen (前九年の役) qui s’étale de 1051 à 1063. À l’origine de ce conflit se tient Abe no Yoritoki, alors général responsable de la surveillance des Emishi (蝦夷). Toutefois, celui-ci dépasse le cadre de sa mission et Minamoto no Yoriyoshi, le père de Yoshiie, se trouve nommé à la fois gouverneur et commandant en chef. Il est envoyé avec son fils, à peine âgé de quinze ans, pour stopper les exactions d’Abe. Le siège de Kuriyagawa, considéré par certains comme mineur, permet aux Minamoto de vaincre Abe no Sadatō (安倍貞任), le fils de Yoritoki, et de mettre fin à ce conflit qui dura près de douze ans.
Les faits d’armes de Minamoto no Yoshiie sont tels qu’il est considéré comme un Kami légendaire, et est souvent appelé Hachimantarō, « Enfant de Hachiman », le Kami de la Guerre.
MINAMOTO NO YORITOMO (源頼朝) – 1147-1199
On ne peut pas ignorer le premier Shōgun (将軍) héréditaire du Japon. Voici la description que je faisais de cette fonction dans l’article cité en début de billet :
Abréviation de Seii TaiShōgun (征夷大将軍), que l’on peut traduire par « Grand général pacificateur des barbares ». Le titre de Shōgun n’est décerné, à l’origine, que sur une courte période. Néanmoins, après qu’il soit attribué à Minamoto no Yoritomo en 1192, il désigne de facto le dirigeant militaire du Japon, alors que l’Empereur perd ses pouvoirs et devient le gardien des traditions.
En dehors de Minamoto no Yoritomo, seuls Ashikaga Takauji et Tokugawa Ieyasu, tous deux « descendants » des princes Minamoto, reçoivent ce titre, qui se transmet de père en fils, de façon officielle. Toutefois, lorsque Minamoto no Yoritomo meurt des suites d’une chute de cheval, si deux de ses fils sont bien nommés Shōgun, ils sont tous deux assassinés, et, au final, le pouvoir revient aux Shikken (des régents), tous pris successivement dans le clan Hōjō, dont la femme de Minamoto, Masako, est originaire, et ce jusqu’en 1333. En ce qui concerne les Ashikaga, leur shogunat dure de 1338 à 1573, et celui des Tokugawa recouvre la période dite Edo de 1603 à 1867.
Minamoto no Yoritomo est, à mon sens, l’archétype du bushi tel qu’on peut l’imaginer en occident, l’honneur, la gloire, mais également la trahison étant au cœur de sa vie. Son clan est l’une des quatre familles qui dominent la politique du Japon durant l’ère Heian (794–1185), les trois autres étant les Fujiwara, les Taira et les Tachibana.
Après La Rébellion de Hōgen (保元の乱) en 1156, qui voit le clan Fujiwara perdre son autorité sur la Cour Impériale, Minamoto no Yoshitomo (源義朝) et Taira no Kiyomori (平清盛) établissent leurs clans respectifs en tant que nouveaux pouvoirs politiques à Kyōto. S’ensuit une lutte acharnée pour prendre le pouvoir qui pousse les Taira à se rapprocher de l'Empereur retiré Go-Shirakawa (後白河天皇). La courte Rébellion de Heiji (平治の乱) qui en découle voit Yoshitomo mourir, trahi par l’un de ses serviteurs.
Contre toute attente, Yoritomo et son demi-frère Minamoto no Yoshitsune (源 義経) sont exilés dans la péninsule d’Izu pour le premier et au temple de Kurama pour le second. Mais, en 1180, Yoritomo sort de son exil et participe à la Guerre de Genpei (源平合戦), faisant suite à l’appel aux armes du prince Mochihito (以仁王). Cette guerre dure cinq ans. Elle voit les Taira perdre, mais également les Minamoto s’entredéchirer, notamment Yoritomo et son cousin, Minamoto no Yorimasa (源頼政) qui souhaite le renverser à la tête du clan. Celui-ci est tué à La bataille d'Awazu, en 1184.
En 1185, Yoshitsune sort victorieux de la fameuse Bataille navale de Dan-no-ura (壇の浦の戦い) qui met fin au conflit, une grande partie des Taira survivants préférant se suicider en se jetant par-dessus bord, y compris le jeune Empereur Antoku (安徳天皇), alors âgé de six ans, ce qui permet à Yoritomo d’être nommé Shōgun en 1192.
Ceci met fin à l’ère Heian, les Minamoto choisissant Kamakura comme capitale shogunale pour y installer leur gouvernement, le Bakufu (幕府), ce qu’on peut traduire par « siège de la tente ». Malheureusement pour lui, après sa mort en 1199 des suites d’une chute de cheval, son beau-père Hōjō Tokimasa (北條時政) prend le titre de régent. Le clan Minamoto ne survivra pas à la mort de son deuxième fils, Minamoto no Sanetomo (源 実朝), assassiné en 1219 par son neveu.
Au final, l’Histoire retiendra moins le nom de Yoritomo que celui de Yoshitsune.
MINAMOTO NO YOSHITSUNE (源 義経) – 1159-1189
Né sous le nom de Rushanao, Yoshitsune est le neuvième fils de Minamoto no Yoshitomo. Sa vie n'est réellement documentée que sur neuf ans, à partir de sa première rencontre avec Yoritomo à la rivière Kise-gawa quand il avait 22 ans jusqu'à son seppuku à 31 ans. Élevé par des moines-soldats situés dans les Monts Hiei (比叡山) à l’est de Kyōto, il est dit que lorsqu'il prend conscience de son origine à 11 ans (ou 15 ans selon une autre théorie), il refuse d'être moine bouddhiste et décide d'affiner son art martial.
Ainsi, lorsque son frère aîné Yoritomo prend les armes dans la province d'Izu en 1180 pour vaincre le clan Taira, il le rallie pour rejoindre la bannière des Minamoto. Il se fait rapidement remarquer par ses talents de guerrier et monte vite en grade pour devenir Général. Ses actes de bravoure sont légion, notamment lors des Batailles de Ichi-no-Tani (1184) et de Dan-no-Ura (1185). Malheureusement, son aura est telle que son demi-frère voit en lui un potentiel ennemi…
Poursuivi par les troupes du futur Shōgun et trahi par ses propres amis, il se suicide, assisté par son fidèle compagnon, le Sōhei (僧兵), moine-soldat, Benkei. Pourtant, toutes les sources s’accordent pour dire que les deux frères s’aimaient, mais à croire que le pouvoir change les hommes tel Minamoto no Yoritomo. Comme vu précédemment, cela ne lui portera pas bonheur.
Beaucoup considèrent Minamoto no Yoshitsune comme le plus grand bushi de tous les temps. On ne peut pas vraiment leur donner tort, ses actes de bravoure ont traversé les siècles et sa fin tragique a grandement accentué son aura. Mais n’oublions pas que beaucoup de livres, de pièces de kabuki, d’estampes Ukiyo-e, ont perverti son histoire, et que certains faits relatés peuvent être déformés, voire de la fiction. Les Dit de Hōgen, Dit de Heiji, Dit de Heichū et Dit de Heike (tous traduits par René Sieffert), relatant les conflits entre Minamoto et Taira, ont été rédigés bien après les événements.
Pour terminer avec les Minamoto, il ne faut pas oublier MINAMOTO NO YORIMASA (源頼政) — 1106-1180, et ce pour un fait particulier. Moins reconnu que ses cousins, son seppuku est considéré comme celui qui a ouvert la voie à cette pratique. Toutefois, on attribue le premier suicide rituel à Minamoto no Tametomo (源為朝)… Quand je vous parlais des sources divergentes en début d’article… Bref, blessé par une flèche lors de la Bataille d’Uji (1180), Yorimasa préfère se suicider que d’être fait prisonnier. Cette bataille voit également la mort du prince Mochihito.
Le clan Minamoto est également connu sous le nom de Genji (源氏), d'après la prononciation alternative des caractères chinois pour Gen (Minamoto) et Ji (Clan). De la même façon, le clan Taira se nomme aussi Heike (平家) ou Heishi (平氏), avec Hei (Taira), Ke (Famille) et Shi (Clan).
Le Dit des Heike, Le Dit de Heichū, Le Dit de Hōgen et Le Dit de Heiji racontent l'affrontement entre les deux familles. Ils sont disponibles chez Verdier Poche, avec une traduction de René Sieffert.
TOMOE GOZEN (巴 御前) — 1157-1247
Si l’existence de femmes combattantes est attestée pendant les troubles précédant l’ère Meiji, nous le verrons d’ailleurs plus bas avec Nakano Takeko, il va sans dire que, ici aussi, la légende rejoint souvent la réalité. Beaucoup de femmes de bushi sont entraînées à défendre leur famille et leur domaine, d’autant que, avant la période Edo, le guerrier est régulièrement absent. Certaines intègrent la classe des Onna-bugeisha (女武芸者), formées à l’utilisation des armes, dont la Naginata. Toutefois, la présence d’une femme sur un champ de bataille est une exception, non une règle.
La Guerre de Genpei (1180–1185) voit Tomoe Gozen (traduit par « Dame Tomoe »), épouse de Minamoto no Yoshinaka (源義仲), se distinguer particulièrement. Décrite comme étant très belle, elle est aussi une remarquable archère et épéiste, à cheval ou à pied… Son courage et sa bravoure poussent son époux à la nommer Ippō no Taishō, un grade de commandant, ce qui lui donne encore plus de crédits auprès des troupes. Pour exemple, durant la Bataille de Yokota-Kawara (1181), elle tue et décapite à elle seule l’intégralité des meneurs de troupes du clan Taira, menant son clan à la victoire. En 1183, elle mène 1 000 hommes lors de la Bataille de Kurikara, ce qui fait fuir les Taira de Kyōto. Autre fait remarquable, à la Bataille d’Awazu (1184), elle fonce sur les forces ennemies, décapitant le plus fort guerrier...
Vous voyez où je veux en venir ?
Voilà, malheureusement, là aussi une grande part de ce que l’on sait de Tomoe Gozen provient du Heike Monogatari, autant dire que les sources sont peu fiables. Toutefois, elle reste l’une des figures les plus populaires du folklore japonais.
Passons à l’Époque Sengoku (戦国時代), que l’on peut traduire par « l’Ère des provinces en guerre ». Cette période allant de la fin des Guerres d’Ōnin (1477) jusqu’en 1573, lorsque Oda Nobunaga destitue le dernier Shōgun Ashikaga, voit son lot de bushi se démarquer. On ne pourra pas tous les énumérer, mais en voici plusieurs.
UESUGI KENSHIN (上杉 謙信) — 1530-1578
Commençons par Uesugi Kenshin, Daimyō de la province d’Echigo et ennemi juré de Takeda Shingen que nous verrons plus bas. Quatrième fils de Nagao Tamekage (長尾 為景), né Nagao Kagetora (長尾 景虎), il prend le nom d’Uesugi Kenshin après être devenu moine bouddhiste. Alcoolique notoire, le « Dragon d’Echigo » est connu pour ses prouesses sur le champ de bataille, mais est également considéré comme un administrateur habile. Ses batailles contre le clan Takeda restent dans les annales. Connues sous le nom de Batailles de Kawanakajima, dans l’actuelle préfecture de Nagano, ces cinq conflits allèrent de la série d’escarmouches à la bataille rangée. La principale étant la quatrième, en 1561, qui se termine… par l’épuisement des deux camps… On dit qu’il pleura à l'annonce de la mort de son ennemi juré.
La cause de la mort de Uesugi Kenshin est toujours sujette à débat. La théorie acceptée par la majorité des chercheurs est la détérioration de son état de santé avec des douleurs au ventre suivies par une mort rapide. Toutefois, d’autres raisons, comme l’assassinat par un Shinobi caché sous ses latrines, sont évoquées. Il repose à Yonezawa où se trouve également un musée à son nom.
TAKEDA SHINGEN (武田信玄) – 1521-1573
Génie militaire, Takeda Shingen, né sous le nom de Takeda Katsuchiyo, est l’un des principaux Daimyō du Sengoku Jidai.
Descendant d’une très longue lignée de Shugo (1), sa vie est une succession de batailles. Son grand ennemi est, bien entendu, Uesugi Kenshin, qu’il finit par vaincre après onze années de combats acharnés. Il est également connu pour ses alliances et oppositions répétées à Oda Nobunaga, Tokugawa Ieyasu, Imagawa Yoshimoto et le clan des Go-Hōjō (2).
On ne peut pas parler de Shingen sans évoquer ses Vingt-quatre généraux (武田二十四将). Tous ont connu la renommée, et au moins un tiers d’entre eux périssent à la Bataille de Nagashino en 1575. Le plus connu reste Yamamoto Kansuke (山本勘助) — 1501-1561. De faible constitution, aveugle d’un œil et boiteux, il n’en est pas moins un fin stratège et un guerrier féroce. Inoue Yasushi en fit le principal protagoniste de son roman, Le sabre des Takeda (Picquier Éditions).
Le film d’Akira Kurosawa, Kagemusha, retrace l’épopée finale du clan Takeda.
Shingen repose au sein du sanctuaire Takeda à Kōfu, dans la préfecture de Yamanashi. Vous y trouverez également un musée.
DATE MASAMUNE (伊達 政宗) — 1567-1636
Parfois surnommé Dokuganryū (独眼龍), « Le Dragon borgne », ayant perdu un œil enfant suite à la petite vérole, le Daimyō de Sendai est fin politique et stratège, mais il est aussi cruel et dirige son clan d’une main de fer. Il participe à sa première campagne à 14 ans et prend la tête du clan à 18, non sans avoir dû tuer son frère cadet quelques années plus tôt, suite aux intrigues de sa mère pour le spolier de ses droits.
Arrivé au pouvoir, Masamune entame une politique de conquête particulièrement agressive vis-à-vis des clans voisins, y compris ceux dirigés par des membres de sa propre famille, comme sa tante Onamihime (阿南姫). Après la défaite du clan Ashina (蘆名氏) en 1589, il fait du domaine d'Aizu sa base d'opérations.
Masamune prête allégeance à Toyotomi Hideyoshi. Toutefois il s’attire les foudres de celui-ci, ayant tardé à se joindre au siège d’Odawara en 1590. Il fait amende honorable, mettant ses plus beaux atours et se présentant humblement devant l’un des hommes les plus puissants de l’Empire. Contre toute attente, Hideyoshi l'épargne. Masamune le suit ensuite dans ses campagnes d’invasion de la Corée en 1592 et 1597. Après la mort de Hideyoshi, il prend le parti de Tokugawa Ieyasu et participe à la bataille de Sekigahara, s’assurant ainsi un vaste domaine et un confortable revenu de plus de 60 000 koku (3).
Bienveillant envers la communauté chrétienne, il envoie, en 1613, la première délégation japonaise en Europe, mais, au final, l’interdiction de cette religion par le shogunat Tokugawa, l’amène, par allégeance, à pourchasser lui-même les chrétiens.
SANADA MASAYUKI (真田 昌幸) — 1547-1611
Sa famille étant vassale du clan Takeda, le jeune Masayuki, alors dénommé Gengorō (源五郎), est envoyé en otage auprès de son Daimyō, comme cela se fait souvent à l’époque. Plus tard, il hérite de la famille Mutō et épouse la fille d’un petit seigneur de la province de Tōtōmi (遠江国).
Il participe à de nombreuses guerres pour le clan Takeda, y compris lors de la quatrième Bataille de Kawanakajima en 1561, puis à celle de Mimasetōge en 1569. Ensuite, il rejoint Shingen dans sa campagne contre Oda et Tokugawa et prend part à la Bataille de Mikata-Ga-Hara (1573). Il continue de servir les Takeda, même après la mort de Shingen, mais finit par reprendre les rênes de son propre clan, suite à la désastreuse Bataille de Nagashino qui voit ses frères mourir.
Fin stratège, Masayuki se place au service de Oda Nobunaga et de Toyotomi Hideyoshi. Ensuite, à la mort de celui-ci, il engage le clan au service de Mitsunari Ishida. Lors de la Bataille de Sekigahara en 1600, il reste aux côtés du clan Ishida avec son fils Yukimura, mais place son autre fils, Nobuyuki, au service des Tokugawa. Ainsi le clan Sanada est assuré de survivre… En effet, suite à la défaite de Ishida, Masayuki et Yukimura doivent être exécutés, mais compte tenu de la participation de Nobuyuki dans l’armée de l’Est, ils sont finalement exilés à Kudoyama, dans la province de Kii.
Il est impossible de ne pas parler des trois unificateurs du Japon et il est impossible de résumer leur vie à quelques lignes... Je vous invite grandement à lire les ouvrages de Charles-Pierre Serain et Shiba Ryōtarō qui leur sont consacrés.
ODA NOBUNAGA (織田 信長) — 1534-1582
Décrit comme un « grand homme, mince, peu barbu, à la voix très claire, très porté sur le maniement des armes, rustique, aimant l’exercice de la justice et de la miséricorde [...] » par le jésuite Luis Frois, Oda Nobunaga est également connu pour être intrépide, audacieux, autocratique et pouvant avoir des accès de colères homériques.
En 1551, déjà considéré comme excentrique et manquant de discipline par les vassaux de son père, Oda Nobuhide (織田 信秀), Nobunaga leur donne raison en se comportant de manière outrancière lors de la cérémonie funéraire de celui-ci. Son frère, Oda Nobuyuki (織田 信行), plus poli et respectueux, correspond plus à leurs attentes pour la succession à la tête de la province d'Owari, bien que ce soit Nobunaga qui soit retenu comme successeur légitime. En 1553, le seppuku par protestation (appelé Kanshi) de Hirate Masahide (平手 政秀) est un coup de massue pour Nobunaga, qui perd non seulement un ami, un mentor, mais également son vassal le plus fidèle.
Après cela, il modifie radicalement son attitude, mais reste un suzerain fragile au sein de son propre fief. Cela va changer assez rapidement. En 1556, son frère se rebelle contre son autorité, avec le soutien de Shibata Katsuie (柴田勝家) et Hayashi Hidesada (林 秀貞). Magnanime, et grâce à l'intervention de sa mère, Nobunaga les gracie. Cependant, l'année suivante, Nobuyuki recommence. Cette fois, le Daimyō prend une décision radicale et assassine son frère au château de Kiyosu (清洲城).
En 1559, Nobunaga ne rencontre plus de résistance au sein de son clan. En 1560, Imagawa Yoshimoto (今川 義元), Daimyō de Suruga, envahit Owari. Fort d’une armée de 40 000 hommes, il meurt face à Nobunaga lors de la Bataille d’Okehazama. Celui-ci ne dispose alors que de 2 000 soldats d’élite. Après cette victoire, Oda Nobunaga noue une alliance avec Matsudaira Motoyasu, connu plus tard sous le nom de Tokugawa Ieyasu. Cela lui permet de protéger son flanc est, avant d’entreprendre d’annexer la province de Mino tenue par Saitō Tatsuoki (斎藤龍興). Cela lui prendra quelques années. En 1567, Nobunaga fait le siège du château d'Inabayama, s'en empare et envoie Tatsuoki en exil.
En 1568, Nobunaga prend le contrôle de la capitale Heian-kyō (actuelle Kyōto). Il installe Ashikaga Yoshiaki (足利 義昭) comme Shōgun, mais celui-ci est exilé cinq ans plus tard pour avoir conspiré avec les ennemis de Nobunaga. Ceci met fin au shogunat Ashikaga et fait entrer le Japon dans la Période Azuchi Momoyama (安土桃山時代).
En 1571, il ravage le Enryaku-ji (延暦寺) sur le mont Hiei, afin de se débarrasser des moines guerriers Sōhei qui s’y cachaient, tuant sans distinction civils et moines guerriers. Afin de détruire définitivement les Ikkō-ikki (一向一揆), un mouvement créé par les adeptes de la branche du temple Hongan-ji (本願寺) au sein de la secte Jōdo shinshū, regroupant des paysans, moines bouddhistes, prêtres shintoïstes et nobles japonais se révoltant contre l'autorité des bushi, il n'hésite pas à faire massacrer femmes et enfants.
Ces faits lui valent le surnom de Roi démon (魔王).
Lors de la Bataille de Nagashino (長篠の戦い), en 1575, Nobunaga utilise habilement les arquebuses, amenées par les portugais en 1543 et qu’il utilise régulièrement depuis 1549. Ainsi, 3 000 arquebusiers et un ingénieux système de palissades, permettant à ses tireurs d’abattre la cavalerie par volées de coups de feu, lui permettent de l’emporter contre le clan Takeda (武田氏).
En 1579, Oda Nobukatsu (織田信雄), son second fils, qui contrôle la province d'Ise (伊勢国), décide d'étendre son domaine à celle d'Iga (伊賀国), connue pour être le centre stratégique des Shinobi (忍び), appelés également Ninja (忍者) depuis le XXe siècle. Cela conduit, deux ans plus tard, Nobunaga à envahir ladite province. En effet, bien qu'il ne soit pas Shōgun, et qu'il se soit servi d'eux à plusieurs reprises, Nobunaga n’en demeure pas moins le maître incontesté du Japon et ceux-ci représentent un défi à son autorité. Il renvoie Nobukatsu à Iga, à la tête d'une armée forte de, selon les versions, 40 000 ou 60 000 guerriers. Les quelques Shinobi survivants vont se réfugier chez les Daimyō voisins, comme Tokugawa Ieyasu, pour se mettre à leur service. Ce fait est connu sous le nom de Guerre Iga de Tenshō (天正伊賀の乱).
Nobunaga meurt au faîte de sa puissance, en 1582, dans l'incident du Honnō-ji (本能寺の変). L'un de ses généraux, Mitsuhide Akechi (明智光秀), le trahit, encercle le temple et pousse Oda Nobunaga à se faire seppuku. Son fils, Nobutaka, héritier légitime du clan, perd également la vie ce jour-là. Nobunaga laisse un Japon presque unifié, son fidèle Général Toyotomi Hideyoshi poursuit son rêve, en commençant par défaire le félon lors de la bataille de Yamazaki (山崎の戦い) et se déclarant ouvertement comme successeur.
TOYOTOMI HIDEYOSHI (豊臣秀) — 1537-1598
Pour moi, Toyotomi Hideyoshi est un pur produit de ce qu’on appelle aujourd’hui l’« ascenseur social ». Parti de rien, dans un monde où, justement, la naissance est tout, il finit au plus haut de la caste des Kuge (公家) (4) en passant par celle des Buke (武家) (5). Et ce parce que, hasard ou destin, il rencontre un homme, Oda Nobunaga.
Fils d’agriculteur ou d’Ashigaru (6) du clan Oda selon les versions, il est né sous le nom de Hiyoshi-maru (日吉丸). Il change plusieurs fois de nom lors de sa vie, chose assez courante au Japon. Par soucis de lisibilité, nous le nommerons Toyotomi Hideyoshi tout le long de cette biographie, bien que ce patronyme ne lui soit donné par l’Empereur qu’en 1585. Au vu de sa laideur, il est également connu sous les sobriquets de « tête de singe », de « singe serviteur » ou simplement « singe » (Saru - 猿). Anecdote peu connue, Hideyoshi souffrait de polydactylie. En effet, il possédait six doigts à la main droite. Cette particularité physique est attestée par Maeda Toshiie (前田 利家) et le père Luis Frois.
Hideyoshi sert Nobunaga à partir de 1554 environ sur les conseils de la femme de celui-ci, Nō-hime (濃姫). Une part de sa biographie relèverait de la légende, comme, par exemple, le fait qu'il termine la construction du château de Sunomata (墨俣城) en une nuit au milieu de la bataille contre Saitō Tatsuoki... De même, le fait que Nobunaga le choisisse comme surveillant pour la restauration du château de Kiyosu qui traîne en longueur, Hideyoshi en faisant activer la construction et rendant la demeure habitable en quelques jours, n’a aucun fondement historique.
Toutefois, beaucoup de faits sont avérés. Ainsi, en 1568, il est bien chargé par Nobunaga de gouverner Kyōto avec, entre autres, Mitsuhide Akechi. En 1570, il combat avec succès Asakura Yoshikage (朝倉 義景), le Daimyō d'Echizen. L'occasion pour Hideyoshi de démontrer ses talents de stratège. Nobunaga le récompense avec trente mille koku. En 1573, il fait le siège du château d'Odani et capture Azai Nagamasa (浅井長政) et, pour sa peine, reçoit trois comtés du nord d'Omi. Sa fortune grandit en même temps que sa notoriété. Nobunaga étant en guerre perpétuelle, l'homme acquière une grande expérience du champ de bataille. Il combat, entre autres, à Nagashima (en 1573 et 1574), à Nagashino (1575) et à Tedorigawa (1577). En 1574, il fait construire le château de Nagahama (長浜城) et adopte le Paulownia comme Kamon (家紋), ses armoiries. En 1581, il envahit Mōri et soumet les cinq provinces de l'Ouest en cinq jours. Et ce ne sont que quelques exemples. En 1582, Toyotomi Hideyoshi envahit la province de Bichū (備中国). Confronté aux troupes du clan Mōri (毛利氏), il demande des renforts à Oda Nobunaga. Suite à la trahison de Mitsuhide Akechi et à la mort de son suzerain, il rentre en urgence des provinces de l'Ouest (中国地方), et, à la tête de soixante mille hommes, se met à la poursuite du félon. Il défait les troupes de Mitsuhide et fait exécuter ce dernier lors de la Bataille de Yamazaki (山崎の戦い). Par la suite, lors de la conférence pour la succession, Shibata Katsuie (柴田勝家) est en faveur de Oda Nobutaka, le troisième fils de Nobunaga. Mais Hideyoshi et ses partisans soutiennent Oda Hidenobu, le petit-fils légitime, c'est donc ce dernier qui obtient gain de cause.
Lors de la répartition des territoires, Hideyoshi obtient le plus gros lot, soit les provinces de Tanba (丹波国), Yamashiro (山城国) et Kawachi (河内国), appartenant anciennement à Mitsuhide et qui ne produisent pas moins de 280 000 koku. Hideyoshi devient par là même supérieur à Katsuie du point de vue des territoires, ce que ce dernier n’accepte pas de bon cœur. Suite à cela, il s'oppose à Hideyoshi, s'alliant à Takigawa Kazumasu et Oda Nobutaka, mais il perd à la Bataille de Shizugatake (賤ヶ岳の戦い) en 1583. Lui et sa femme Oichi se suicident au château de Kitanosho (北圧城).
En 1584, Oda Nobukatsu (織田信雄), deuxième fils de Nobunaga, se reconnait comme héritier et commence à s'opposer à Hideyoshi, avec le soutien de Tokugawa Ieyasu. Après plus d'une demi-année de batailles, Hideyoshi persuade Nobukatsu de faire la paix, ce que ce dernier accepte. Il y a une opinion selon laquelle Hideyoshi aurait été invité à devenir Shōgun par la Cour Impériale, mais qu'il aurait refusé (Nihon no jidai-shi n°13 - Yoshikawa Kobunkan Press, 2003). Toutefois, il semble que ce soit la seule mention de cette supposée nomination.
L'année 1585 marque un tournant dans la vie de Hideyoshi.
Le 10 mars, il est nommé Nai-daijin (内大臣), Ministre du Centre, par la Cour Impériale. Le 11 juillet, il est nommé Kanpaku (関白), un rôle de premier conseiller ou de premier secrétaire de l'Empereur, en tant que fils adoptif de Konoe Sakihisa (近衛 前久) et reçoit le nom de famille de Toyotomi des mains de l'Empereur Ōgimachi (正親町天皇). Mais il ne s'arrête pas là, puisque le 25 décembre, il est promu Daijō-daijin (太政大臣), Ministre des Affaires suprêmes, et peut ainsi établir son gouvernement. Selon certaines sources, Ashikaga Yoshiaki (足利義昭) aurait refusé la demande de Hideyoshi de l'adopter. Mais Hideyoshi, le simple paysan, porteur de sandales méprisé, a prouvé à tout le monde, nobles de cour comme d’épée, qu’il est l’égal, sinon le supérieur, de tous. Son intelligence, politique comme guerrière, n’est plus à démontrer. Il a su dépasser son maître, Oda Nobunaga, et a réussi à se hisser à un niveau qu’aucun de ses pairs n’aurait pu imaginer. L’Empereur l’a certainement compris. On lui voue un culte de son vivant et il savoure cela.
Selon certaines sources, comme le « Dictionnaire historique du Japon » (Vol. 19 - 1993), à son entrée dans Kamakura, après son combat contre Date Masamune, il pénètre dans le temple qui abrite la statue de Minamoto no Yoritomo et lui dit :
« Mon cher ami, vous et moi avons tenu le Japon dans nos mains, mais vous êtes né dans un palais et moi dans une hutte en ruines. Maintenant, que pensez-vous de moi, moi qui vais envoyer une armée contre l’Empire Ming ? »
En 1587, à la tête de 150 000 hommes, il mène contre Shimazu Yoshihisa (島津義久), le puissant Daimyō de Satsuma (薩摩国), une campagne militaire victorieuse lors de la Campagne de Kyūshū. La même année, il interdit le christianisme et expulse les missionnaires jésuites tout en confisquant le port de Nagasaki qui leur avait été attribué par Ōmura Sumitada (大村 純忠).
En 1588, il met en place le Katanagari (刀狩), que l'on peut traduire par « chasse à l'épée » et en fait la promotion à grande échelle. Ainsi il ordonne la saisie des sabres, et une variété d'autres armes, possédées par des civils, voire par des opposants. Après avoir vaincu le clan Go-Hōjō (後北条氏) et pris le château d'Odawara (小田原城) en 1590, Toyotomi Hideyoshi a enfin unifié le Japon. Il octroie les possessions du clan Go-Hōjō à Tokugawa Ieyasu. Toutefois, il subsiste quelques révoltes, comme celle de Kunohe Masazane (九戸政実), mais elles sont assez vite réprimées.
En 1591, soucieux pour sa succession, Hideyoshi cède la position de Kanpaku et le domaine familial à son neveu Toyotomi Hidetsugu (豊臣 秀次), et devient Taiko (titre honorifique d'ancien Kanpaku). Finalement, Hidetsugu est accusé en 1595 de préparer une révolte et il lui est ordonné de commettre seppuku sur le Mont Kōya (高野山).
Désirant envahir la Chine depuis 1586, Hideyoshi lance ses troupes à l'assaut de la Corée en 1592. Ses troupes, fortes de 160 000 ou 200 000 hommes selon les versions, débarquent à Pusan et commencent assez facilement la conquête du territoire. Néanmoins, la flotte de guerre coréenne est l'une des plus modernes de l'époque, utilisant nombre de techniques inconnues des Japonais. Ceci, plus le fait que la dynastie Min de Chine envoient des hommes en renfort, oblige Toyotomi à négocier une trêve en 1593. Il semble que ce soit un malentendu qui relance le conflit en 1596. Hideyoshi estime avoir gagné la guerre, mais se retrouve avec un statut de vassal tributaire de la Chine. Il envoie à nouveau 140 000 soldats en Corée en 1597. Le 19 novembre 1598, le Japon se retire après une cuisante défaite à No Ryang, où le célèbre amiral coréen Yi Sun-sin (李舜臣) trouve la mort. L'amiral Shimazu Yoshihiro (島津 義弘) ne ramène que cinquante navires sur les deux-cent-cinquante qu'il avait conduits à la bataille.
Parallèlement, sentant sa fin proche et craignant pour la vie de son jeune fils Hideyori, Hideyoshi confie celui-ci, qu'il avait désigné comme héritier exclusif, aux cinq Tairō (大老) (7), ses grands conseillers. En faisant cela, Hideyoshi pense que les cinq membres s'équilibreront pour empêcher l'émergence éventuelle de Tokugawa Ieyasu, le plus puissant d'entre eux (à cette époque, celui-ci possède des terres d'une valeur de 2 560 000 koku dans le Kanto). À la mort de Maeda Toshiie (前田利家), Ieyasu a enfin les coudées franches, comme nous pourrons le voir plus bas.
Sa tombe officielle se trouve au Toyokuni-jinja (豊国神社) de Kyōto, un sanctuaire restauré au XIXe siècle par l'Empereur Meiji. Il existe différents points de vue sur la cause de sa mort, l'un d'eux étant qu'il serait mort de la syphilis. J'avais également lu un article faisant mention d'une éventuelle tumeur au cerveau, ce qui pourrait expliquer son comportement étrange à la fin de sa vie, mais impossible de remettre la main dessus. Sa femme, Nene (ねね), également connue sous le nom de Kōdai-in (高台院), se fait nonne et s'établie dans le temple bouddhique Jubuzan Kōdai-ji (鷲峰山高台寺), également à Kyōto. Temple que je vous invite à visiter, si ce n'est déjà fait.
TOKUGAWA IEYASU (徳川 家康) — 1543-1616
Héritier du clan Matsudaira, une petite famille de la province de Mikawa (三河国), il nait sous le patronyme de Matsudaira Takechiyo. Le nom de Tokugawa Ieyasu ne lui étant donné qu’en 1566.
En 1548, à la suite de l'invasion de la province par les Oda, et l'aide d'Imagawa Yoshimoto (今川 義元) pour les repousser, il est envoyé en otage à Sunpu, dans la province de Suruga (駿河国). Cependant, lorsqu'il fait escale au château de Tahara (田原城), Toda Yasumitsu (戸田 恭光) l'envoie traîtreusement au clan Oda dans la province d'Owari. Oda Nobuhide (織田 信秀), alors Daimyō du clan Oda, menace Matsudaira Hirotada (松平 広忠) de tuer son fils s'il ne rompt pas son pacte avec Imagawa Yoshimoto. Hirotada refuse, arguant que laisser son fils mourir ne ferait que sceller plus encore le pacte le liant aux Imagawa. Nobuhide ne fera finalement aucun mal à Ieyasu.
L'année suivante, Hirotada et Nobuhide décèdent. Le second laisse son clan dans une grande désorganisation. Imagawa Yoshitomo en profite et envoie Taigen Sessai (太原雪斎) assiéger le château d'Okazaki (岡崎城) où se trouve Oda Nobuhiro (織田 信広), fils aîné de Nobuhide. Le siège tourne vite à l'avantage des Imagawa, toutefois Sessai rencontre Oda Nobunaga afin de lui proposer un marché : il lève le siège à condition que les Oda lui livrent Ieyasu... Celui-ci arrive à Sunpu le lendemain.
De ses six ans jusqu'à ses quatorze ans, Ieyasu reste donc l'otage des Oda, puis des Imagawa. Cependant, il existe une théorie selon laquelle il a été confié au clan Imagawa non pas en tant qu'otage, mais pour « apprendre les affaires du gouvernement ».
En 1556, il obtient enfin le droit de retourner sur ses terres et se marie en 1557 à Tsukiyama-dono (築山殿), la nièce de Yoshitomo. Ieyasu fait ensuite ses premiers pas en tant que tacticien dans une campagne contre le clan Oda. Il y remporte quelques victoires, de relative importance certes, mais celles-ci lui permettent de commencer à se faire un nom.
Lorsque Yoshimoto est tué par Nobunaga en 1560, lors de la Bataille d'Okehazama, Ieyasu rêve de redevenir indépendant du clan Imagawa, avec l'intention de restaurer son droit de contrôle sur la province de Mikawa. Il contacte Nobunaga dans le plus grand secret en vue d'organiser une alliance, car sa femme et son fils se trouvent toujours à Sunpu. En 1561, il conquière le château de Kaminogō, ce qui lui permet de récupérer sa famille en échange des prisonniers. À noter que Hattori Hanzō (服部 半蔵), illustre shinobi et samurai, surnommé Oni Hanzō (鬼半蔵), « Hanzō le démon », participe à ce siège. Il se révélera l'un des meilleurs et des plus loyaux serviteurs du futur Shōgun.
Tokugawa Ieyasu rompt ainsi définitivement avec Imagawa Ujizane (今川氏真) qui avait succédé à Yoshimoto, et fonde l'Alliance de Kiyosu avec Nobunaga. Tout en prenant à ses côtés des clans locaux aussi puissants que le clan Toda et le clan Saigo, il déplace ses troupes vers l'est, éliminant les forces ennemies, telles que le clan Udono. Udono Nagateru (鵜殿 長照), ainsi que son père, Nagamochi, meurent lors de la prise du château de Kamisato.
En 1564, il combat les Mikawa no kuni Monto, une armée de moines guerriers affiliés aux Ikkō-ikki qui ont refusé de se soumettre à son autorité, au cours de la Bataille d'Azukizaka (小豆坂の戦い). Il les vainc et rase leurs temples. En 1568, il se lie avec Takeda Shingen qui a chassé Ujizane de Sunpu. La même année, il envahit la province de Totomi (遠江国), au sein du territoire du clan Imagawa, et prend le château de Hamamatsu (浜松城).
Lorsque l’Empereur l'autorise à changer son nom en Tokugawa Ieyasu, il déclare descendre des Minamoto, ce qui lui apporterait, en cas de position de force, une grande crédibilité pour être nommé Shōgun. Cependant, il n'existe aucune preuve que cette descendance soit avérée.
Quand Oda Nobunaga est en route vers Kyōto en 1568, Ieyasu se tient à ses côtés. Plus tard, lorsque Ashikaga Yoshiaki conspire contre Nobunaga, il refuse de lui prêter assistance.
En 1570, il participe à la Bataille d'Anegawa (姉川の戦い) contre les forces alliées d’Asakura Yoshikage (朝倉 義景) et Azai Nagamasa (浅井長政)
En 1569, l'accord avec Shingen est annulé par celui-ci. Cette guerre dure après la mort du Tigre de Kai, mais son fils, Takeda Katsuyori (武田勝頼), n’a pas son génie. Les deux points culminants sont sans conteste La bataille de Mikata-Ga-Hara (三方ヶ原の戦い) en 1572, qui voit Ieyasu battre en retraite, et celle de Nagashino en 1575. L'alliance Tokugawa-Oda, forte de 38 000 guerriers et usant allégrement des arquebuses, bat les troupes de Katsuyori, mais celui-ci parvient à s'enfuir. Il ne laissera jamais Ieyasu tranquille et des affrontements sporadiques entre les deux clans se dérouleront, mais sans réelles conséquences pour Ieyasu.
En 1579, Tsukiyama-dono, l'épouse de Ieyasu, ainsi que son fils aîné Nobuyasu (松平 信康), sont accusés de conspiration avec le clan Takeda par Oda Nobunaga et retenus en otage. Ieyasu ordonne donc à son fils de se faire seppuku, bien que celui-ci soit marié à Toku-hime (徳姫), la fille aînée de Nobunaga. Il fait alors appel à Hanzō pour le seconder en tant que Kaishakunin (介錯人), mais celui-ci décline, refusant que sa lame soit imprégnée du sang de son propre seigneur. Ieyasu apprécie, mais Nobuyasu est tout de même contraint de se suicider. Tsukiyama-dono est, quant à elle, exécutée. Il est dit que Ieyasu a profondément regretté cet acte par la suite. À la suite de l'incident du Honnō-ji, Ieyasu aurait songé à suivre Oda Nobunaga dans la mort. Finalement, il rassemble son armée pour combattre Akechi Mitsuhide, mais celui-ci est vaincu par Toyotomi Hideyoshi, comme nous l'avons vu plus haut.
En 1584, les forces de Ieyasu, alliées à celles de Oda Nobukatsu, combattent Hideyoshi. Les deux armées se rencontrent à La bataille de Komaki et Nagakute (小牧・長久手の戦い). Un an plus tard, les deux Daimyō décrètent une trêve, puis, en 1586, Ieyasu se rend à Ōsaka pour prêter allégeance à Hideyoshi. En 1590, Ieyasu envoie 30 000 hommes pour se joindre aux 130 000 de l'armée Toyotomi. Le siège d'Odawara dure six mois et les chefs du clan Go-Hōjō finissent par se suicider. Hideyoshi propose à Ieyasu de prendre le contrôle de leurs terres, en échange des siennes, celui-ci accepte et établie sa capitale à Edo. À cette époque, Date Masamune est le dernier Daimyō indépendant du Japon, mais il se soumet par la suite.
En gouvernant la région du Kanto, Ieyasu stratège, nomme ses puissants vassaux, à l'instar de Okubo Nagayasu (大久保長安) et Kusakabe Sadayoshi (日下部定好), Daikan (代官), des gouverneurs placés dans les territoires sous contrôle direct. Les autres, comme Ii Naomasa (井伊直政), Honda Tadakatsu (本多忠勝) ou Honda Yasushige (本多康重) récupèrent des territoires de moindre importance, mais non négligeables. Selon certaines sources, cet éloignement lui permet également d'éviter à participer aux invasions de la Corée et, ainsi, de conserver ses forces intactes.
À la mort de Hideyoshi, Ieyasu est plus puissant que jamais. Il semble également montrer des signes de comportements tyranniques, basés sur la volonté de Hideyoshi que les affaires gouvernementales lui soient confiées jusqu'à ce que Hideyori devienne adulte. Bien que les mariages entre Daimyō aient été interdits en 1595, Ieyasu n'hésite pas à arranger de telles unions, à son avantage, comme Iroha Hime, la fille aînée de Date Masamune à Matsudaira Tadateru, son sixième fils, ou l'une des filles de son neveu Matsudaira Yasumoto à Fukushima Masayuki...
Ieyasu finit par prendre l'avantage sur les autres Tairō. Cela se conclut sur le champ de bataille, à Sekigahara, certainement la plus illustre bataille japonaise et l'une des plus courtes, à peine six heures. Et pourtant, Ieyasu a failli tout perdre. Si le clan Kobayakawa (小早川氏) n'avait pas trahi l'armée de l'Ouest, fidèle aux Toyotomi, Ieyasu ne serait peut-être jamais devenu Shōgun. D'ailleurs, il n'hésite pas à leur faire tirer dessus pour qu'ils se décident... Ainsi, Kobayakawa Hideaki (小早川 秀秋) et ses 15 000 guerriers finissent par fondre sur le clan Ōtani. Par la suite, Ishida Mitsunari (石田 三成) ordonne une attaque générale. Toutefois, Shimazu Yoshihiro (島津 義弘), furieux que son idée d'attaque en fin de journée de la veille ait été rejetée par Ishida, refuse d'y participer et le clan Mōri, pourtant dans son camp, ne semblant pas vouloir s'engager, son assaut se brise sur les forces des Tokugawa. Ce jour-là, 30 000 hommes perdent la vie en quelques heures.
Je vous conseille l'excellent livre de Julien Peltier, « Sekigahara, la plus grande bataille de samouraïs », chez Passés Composés.
Après être entré à Ōsaka, Ieyasu exécute, prend ou réduit les territoires des Daimyō qui ont soutenu l'Ouest. Cela augmente grandement ses territoires, passant de 2,5 millions à 4 millions de koku. Il est nommé Shōgun en 1603 par l’Empereur Goyozei (後陽成天皇) au Nijō-jō (二条城) et il fait du village d’Edo (江戸) sa capitale shogunale. Il établit des lois et des règlements pour contrôler les bushi et la Cour Impériale, comme le « Buke shohatto » (lois pour les familles militaires) et le « Kinchu narabini kuge shohatto » (un ensemble de règlements qui s'appliquent à l'Empereur et aux nobles de Kyōto). C'est également lui qui réforme le statut des seigneurs et met en place la catégorisation des Daimyō (8) : les Shinpan Daimyō (親藩大名), appartenant à la famille des Tokugawa, les Fudai Daimyō (譜代大名), attachés personnellement au Shōgun, et les Tozama Daimyō (外様大名), qui se sont soumis et ralliés au bakufu. En 1605, Ieyasu démissionne et fait nommer son troisième fils, Tokugawa Hidedata (徳川秀忠), Shōgun. Il semble ainsi vouloir démontrer que ce poste héréditaire est bien aux mains de sa famille. Retraité, mais pas inactif, Ieyasu reste aux affaires. Ainsi, fin 1614, prenant comme insulte l'inscription réalisée sur une cloche du temple Hoko-ji (方広寺) et le fait, fondé celui-ci, que Hideyori rassemble une force composée de rōnin et d'ennemis des Tokugawa à Ōsaka, Ieyasu y envoie 194 000 hommes.
Bien qu'ayant été rétrogradé au rang de simple Daimyō, Toyotomi Hideyori (豊臣 秀頼) possède toujours un statut spécial et n'est pas réellement sous le contrôle du clan Tokugawa. Il existe un point de vue selon lequel Ieyasu pensait vraiment que l'autorité et la menace du clan Toyotomi ne pouvaient être ignorées. Il faut également souligner que lorsque Hidedata est nommé Shōgun, Hideyori est nommé par la Cour Impériale Udai-jin (右大臣), Ministre de la droite, un rang supérieur à celui de Hidetada, alors Naidai-jin (内大臣), Ministre du centre. Cela n'a certainement pas arrangé les choses entre les deux familles.
En début d'année 1615, le siège hivernal prend fin, Hideyori promettant de ne pas lever de rébellion, et autorisant le comblement des douves du château. Mais, un peu plus tard, il semble faire marche arrière, ses troupes allant même jusqu'à attaquer le château de Wakayama (和歌山城). Le Shōgun envoie de nouveau ses hommes. Après une autre série de batailles et de victoires du shogunat, la campagne d'été s'achève avec La Bataille de Tennōji (天王寺・岡山の戦い). Avec plus de 15 000 morts, l'armée de Hideyori perd près de 50 % de ses effectifs. Celui-ci finit par se suicider avec sa mère. Son jeune fils, quant à lui, est froidement mis à mort par les vainqueurs. Le magnifique château d'Ōsaka (大坂城) brûle, il sera reconstruit en partie en 1620 par Hidetada. Mais la restauration Meiji et la seconde Guerre mondiale prendront leur tribut. Ce que vous pouvez visiter actuellement est une reconstruction en béton entamée en 1995. Il n’en demeure pas moins magnifique.
Avec la destruction du clan Hideyoshi, les Tokugawa ont enfin les coudées franches. Ieyasu peut mourir tranquille. Il décède à l'âge de 75 ans, en 1616, au château de Sunpu (駿府城), non sans avoir reçu le rang de Daijo-daijin par la Cour Impériale quelques mois auparavant. Si une intoxication alimentaire est longtemps considérée comme la cause de sa mort, des sources pensent plus vraisemblable que, au vu des symptômes, celle-ci est due à un cancer de l'estomac, voire à la syphilis.
Les Tokugawa régneront en maitre sur le Japon pendant plus de 250 ans, rendant le pouvoir à l'Empereur Meiji en 1867. Ils marqueront l'Histoire de l'archipel, instaurant une paix durable, allant jusqu'à transformer les fières bushi en fonctionnaires amoureux des arts, les samurai.
MIYAMOTO MUSASHI (宮本 武蔵) — 1584-1645
On ne présente plus Miyamoto Musashi, épéiste, mais aussi calligraphe, peintre, philosophe… De son vrai nom Shinmen Bennosuke (新免 辨助), l’auteur du célèbre Go-rin-no-sho (五輪書), « Le traité des cinq roues », n’a jamais perdu un duel, que ce soit contre les maîtres de l’école d’escrime Yoshioka, à Kyōto, ou contre Sasaki Kojirō (佐々木 小次郎), qu’il vainc sur l’île de Funa… avec une rame taillée, semble-t-il… Il tue pour la première fois à 13 ans, lors d’un duel contre un certain Arima Kihei en 1596. C’est d’ailleurs l’un des seuls adversaires dont fait mention Musashi dans ses écrits.
Musashi se serait battu pour l'armée de l'Est (les forces de Tokugawa Ieyasu), lors de la Bataille de Sekigahara, à la suite de Kuroda Yoshitaka (黒田孝高). J'utilise le conditionnel car, comme pour sa participation au siège d'Ōsaka en 1614-1615, les sources divergent grandement. Mais, selon le livre « Heiho Taiso Bushu Genshin-ko Denrai », Musashi a combattu à La Bataille de Ishigakibaru (石垣原の戦い) contre l'escouade dirigée par Ōtomo Yoshimune (大友義統) de l'armée de l'Ouest.
Rōnin, ou bushi selon les versions, en perpétuelle quête de savoir, il finit par fonder son école et créer le Hyōhō niten ichi ryū (兵法二天一流), un style à deux sabres, chose inconcevable à l’époque… En 1638, il participe, en tant que tuteur de Ogasawara Nagatsugu, neveu du seigneur Ogasawara Tadazane (小笠原 忠真), à la répression de La rébellion de Shimabara (島原の乱), menée par Amakusa Shirō (天草 四郎). Son fils adoptif, Iori, y participe également. En 1640, il est invité par le seigneur Hosokawa Tadatoshi (細川 忠利) et s'installe à Kumamoto. Il y est très bien traité et reçoit même une allocation et une résidence. Selon Yamamoto Gengozaemon, l'un de ses disciples directs, plus d'un millier d'épéistes de toute la province de Higo (肥後国), l'actuelle préfecture de Kumamoto, sont venus et sont entrés dans l'école de Musashi.
En 1643, à 59 ans, Musashi part pour le mont Iwato (岩手山), dans l'actuelle préfecture d'Iwate. Il s’installe dans la grotte de Reigandō (霊巌洞) et commence à écrire le Go-rin-no-sho, qu'il termine en 1645, 15 jours avant de décéder.
Une partie de la vie du sabreur est un savoureux mélange entre la réalité et la légende et il est difficile de séparer le mythe de l’homme. En effet, Musashi ne laissa que peu d’écrits sur lui-même et beaucoup de faits qui lui sont attribués le furent après sa mort. Néanmoins, le site Nippon.com vous propose un article des plus intéressants sur sa vie et son œuvre martiale.
Il est le principal personnage du roman Miyamoto Musashi (traduit en deux tomes : La Pierre et le sabre et La Parfaite lumière) de Yoshikawa Eiji et du manga Vagabond de Inoue Takehiko.
SAIGŌ TAKAMORI (西郷 隆盛) — 1828-1877
C’est certainement l’une des figures historiques japonaises les plus emblématiques. Il a inspiré les scénaristes du film Le dernier samouraï de Edward Zwick, pour le rôle joué par Watanabe Ken. Et, contrairement à ce qu’on peut lire parfois, non, ce n’est pas Nathan Algren, interprété par Tom Cruise dans le film, ou Jules Brunet, mais bien Takamori qui est considéré comme Le dernier samurai. Ce qui est pourtant logique.
Lors de la Guerre de Boshin, il mène les troupes impériales et devient l’un des fervents meneurs de la Restauration de Meiji. Occupant un poste important au sein du nouveau gouvernement, Takamori comprend rapidement que la modernisation du Japon est inéluctable, et que les jours de la classe des samurai sont comptés. Il finit par démissionner de ses fonctions, retourne dans sa province d’origine, Satsuma, et fonde une école militaire privée pour former les jeunes guerriers de la région… ce que le gouvernement voit d’un très mauvais œil.
Celui-ci finit par tenter de l’assassiner. Le 24 septembre 1877, Takamori ordonne à ses troupes de se battre jusqu’à la mort. Les rebelles livrent bataille aux forces gouvernementales dans différents endroits, avant d’être encerclés, puis vaincus, sur le mont Shiroyama (dans la préfecture de Kagoshima). Blessé, il se donne la mort par seppuku. Il a 49 ans.
L’une des statues les plus célèbres le représentant se trouve dans le parc d’Ueno, à Tōkyō.
NAKANO TAKEKO (中野 竹子) — 1847-1868
Née à Edo, Takeko est la fille d’un fonctionnaire d’Aizu. Elle est formée à la calligraphie, à la poésie. Elle est également adepte du Bushido et de l’utilisation de la Naginata. Dans les années 1860, elle est adoptée par son professeur d'arts martiaux, Akaoka Daisuke. Devenue instructrice, elle quitte son service lorsqu'il tente de lui arranger un mariage et part pour Aizu.
Elle prend part à la Guerre de Boshin dans le camp des Tokugawa. Pendant la Bataille d’Aizu, elle commande un bataillon d’une dizaine de combattantes, dont sa mère et sa sœur, les Jōshigun, ceci indépendamment de l’armée régulière qu’elles n’ont pas été autorisées à rejoindre. Ultérieurement, son unité sera nommée Jōshitai (娘子隊), « L’armée des femmes ». Elle trouve la mort pendant une charge contre les troupes de l’Armée impériale du domaine d’Ōgaki, tuant cinq ou six adversaires avant d’être blessée par un coup de fusil. Elle choisit de se faire achever et décapiter par sa propre sœur plutôt que de tomber aux mains de l’ennemi.
Considérée comme une Onna-bugeisha, Takeko se bat avec une Naginata (薙刀), une arme semblable au fauchard, soit une lame courbe au bout d’un long manche pouvant atteindre deux mètres, et servant, entre autres, à faucher les pattes des chevaux lors d’une charge de cavalerie.
Elle reste encore aujourd’hui un modèle pour de nombreuses Japonaises. Un cénotaphe a été construit au sein du Hōkai-ji, situé dans la préfecture de Fukushima, derrière le lieu de sépulture de sa tête.
SAKAMOTO RYŌMA (坂本 龍馬) — 1836-1867
Sakamoto Ryōma est, de nos jours, considéré comme un héros et des Japonais lui vouent un véritable culte. La mort mystérieuse du jeune révolutionnaire, à seulement 31 ans, à l’aurore de l’ère Meiji, participe grandement à cette adoration. En effet, Ryōma a joué un rôle clé dans ce que beaucoup considèrent comme les fondations du Japon moderne
Né en 1836 dans la province de Tosa (actuelle préfecture de Kōchi), sur l’île de Shikoku, le jeune homme est issu d’une classe de samurai de rang inférieur. En 1853, il se rend à Edo pour se perfectionner au maniement du sabre, puis rentre à Tosa, avant de repartir deux ans plus tard comme instructeur de sabre. Il retourne ensuite dans sa province en 1858, et il s’est déjà fait une opinion politique. En effet, à Edo, Ryōma voit l’arrivée des fameux Kurofune (黒船), les navires noirs, du Commodore Perry en 1853. Il se retrouve dans une atmosphère politique particulière où l’ouverture forcée du pays divise les japonais. Il rencontre des samurai de différentes contrées et conditions et, au fur et à mesure, se forge son idée de ce que devrait être l’archipel. Finalement, il milite en faveur de l’expulsion des étrangers et de la restauration impériale, le Sonnō-jōi (尊王攘夷), que l'on peut traduire par « Révérer l’Empereur, expulser les barbares ».
Il finit par rejoindre le Tosa kinnō tō (土佐勤皇党), un parti loyaliste dont l’objectif est de renverser le shogunat et de le remplacer par un État unifié autour de la personne de l’Empereur, et fondé par son ami Takechi Zuizan, un Gōshi (9) de la province de Tosa. Il est banni quand le complot que le mouvement ourdissait pour prendre le contrôle de la province est dévoilé. Par la suite, considéré comme « négociateur neutre », il parvient à arranger l'alliance secrète de Satsuma-Chōshū. Ce qui lui permet, suite à la victoire de Chōshū contre les forces des Tokugawa en 1866 à être rappelé à Tosa avec les honneurs. Malheureusement, à peine quelques mois après la démission de Tokugawa Yoshinobu, dont il est l’un des instigateurs, Ryōma est assassiné à l'auberge Ōmiya (近江屋) de Kyōto.
TOKUGAWA YOSHINOBU (徳川 慶喜) — 1837-1913
Le 15e et dernier Shōgun Tokugawa hérite de son poste en 1866, en plein Bakumatsu (幕末), cette période qui voit la disparition progressive du shogunat, où le Japon met fin à sa politique isolationniste, le Sakoku (鎖国), pour, finalement, donner naissance au gouvernement Meiji en 1868.
À son arrivée au pouvoir, une refonte massive du gouvernement est entreprise pour lancer des réformes, ce qui, entre autres, renforceraient le gouvernement. Le shogunat reçoit d’ailleurs l'aide du Second Empire français, avec la construction de l'arsenal de Yokosuka et l'envoi d'une mission militaire française pour moderniser les armées du bakufu.
Suite à la rébellion des provinces de Satsuma et Chōshū, opposées au pouvoir shogunal, le Daimyō de Tosa, Yamanouchi Toyoshige (山内豊信) — 1827-1872, sur les conseils de Gotō Shōjirō et Sakamoto Ryōma, persuade Yoshinobu de remettre son mandat politique à Meiji Tennō (明治天皇). Il accepte, démissionne à la fin de 1867 et restaure le pouvoir à l’Empereur, geste qu’on appelle le Taisei hōkan 大政奉還). Il ne profite pas d’une retraite paisible, mais est reconnu par l’Empereur qui l’autorise à fonder sa propre famille, Tokugawa Yoshinobu-ke (徳川慶喜家) en 1902. Conscient de son rôle, Yoshinobu dira bien plus tard : « Le seigneur Ieyasu avait inauguré le bakufu afin d’unifier le Japon. Je suis devenu shōgun pour enterrer ce bakufu… ».
Finalement, maintes fois présenté comme un être faible ayant cédé à la volonté des occidentaux, Yoshinobu demeure indéchiffrable. Certains voient en lui une personne sans qui la Restauration de Meiji aurait sans doute été impossible, un héros méconnu.
Pour terminer, on ne peut pas parler de bushi sans citer au moins ces trois hommes. S’ils ne sont pas nés japonais, ils étaient considérés, d’une façon comme d’une autre, comme des hommes d’exception.
YASUKE — 1530/1540-?
Beaucoup de mystères entourent la vie de Yasuke. Né sur l’île de Mozambique dans les années 1530 ou 1540, l’homme arrive au Japon en tant qu’esclave en 1579. Chargé de servir et assurer la protection du jésuite Alessandro Valignano, il suscite tout de suite l’intérêt des japonais. Oda Nobunaga va même jusqu’à lui faire prendre un bain, croyant qu’il est peint…
Au final, le puissant Daimyō demande à Valignano, qui doit quitter le Japon, de laisser son serviteur derrière lui. Vite libéré et élevé au rang de samurai, Yasuke devient l’un des gardes du corps de Nobunaga, ayant le droit de porter les deux sabres, le Seigneur allant même jusqu’à lui confier sa propre lance…
On perd sa trace après l'incident du Honnō-ji.Selon certaines sources, Yasuke accompagne Nobunaga et préfère se battre que de se faire seppuku. Il est fait prioonnier. Luis Frois écrit : « Pour Akechi Mitsuhide, Yasuke n’est pas un homme, c’est un animal. Il n’est donc pas la peine de le tuer. Il faut le renvoyer en Inde chez les prêtres. ». Nul ne sait ce qu'il advient de lui après, peut-être a-t-il été renvoyé ou executé.
Outre un projet de film américain et un projet Netflix avec Omar Sy, Thierry Gloris et Emiliano Zarcone se sont associés pour adapter sa « vie » en bande dessinée. Le premier tome de Kurusan, le samouraï noir, est sorti en 2021, le deuxième cette année.
WILLIAM ADAMS — 1564-1620
Navigateur anglais travaillant pour la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, il accoste sur l’archipel en 1600. Pris pour un pirate et manquant d’être crucifié, puis enfermé au château d’Ōsaka, l’homme est finalement sauvé par Tokugawa Ieyasu lui-même.
En effet, le daimyō le prend en affection, et fait de lui un diplomate et conseiller commercial, allant jusqu’à faire de lui un Hatamoto (旗本) et lui donner le nom de Miura Anjin (三浦按針). Adams finit par devenir son conseiller personnel sur les questions occidentales, et remplace même le Jésuite João Rodrigues en tant qu’interprète officiel.
Adams meurt en 1620, non sans avoir obtenu un domaine, épousé une japonaise, organisé des expéditions au Siam, en Cochinchine… Il laisse deux veuves, Mary, en Angleterre, et Oyuki, au Japon… Il a servi de modèle pour le personnage principal des jeux vidéo Nioh et Nioh 2, sortis respectivement en 2017 et 2020 sur PS4.
JULES BRUNET — 1838-1911
Cet officier français, polytechnicien décoré de la Légion d’honneur, sert, au nom de la France, le shogunat Tokugawa lors du conflit l’opposant au futur Empereur Meiji, pendant la Guerre de Boshin. La France finissant par adopter une position de neutralité en 1868, la mission est rappelée, mais le capitaine Brunet choisit de rester au Japon pour se battre aux côtés de ceux qu’il appelle ses « frères d’arme ».
Finalement, après la défaite du Shōgun, Jules Brunet et quelques militaires restés à ses côtés, sont contraints de rentrer en France. Suspendu, il reprendra du service en 1870 et terminera sa carrière au grade de Général.
CONCLUSION
J’aurais pu citer beaucoup d’autres guerrier(e)s. J'aurais pu écrire sur Ishida Mitsunari (石田 三成), le perdant de la Bataille de Sekigahara, Akechi Mitsuhide (明智光秀), le traître responsable de la mort de Oda Nobunaga, Taira no Kiyomori (平清盛), acteur majeur de la guerre contre les Minamoto ou Taira no Tomomori (平知盛), victorieux des mêmes Minamoto à la Bataille d'Uji... Mais cette liste est bien assez longue…
Vous l’aurez remarqué, ce ne sont pas des biographies complètes, loin de là, libre à vous d’en lire plus sur le net ou de compulser l’un des livres ci-dessous. Si ce format d’article plaît, je songe à en écrire un autre sur, pourquoi pas, certaines batailles célèbres citées dans celui-ci.
NOTES
(1) Un Shugo (守護) est un commandant militaire et un fonctionnaire administratif pendant les périodes Kamakura et Muromachi.
(2) Le clan Go-Hōjō (後北条氏), également appelé « clan Hōjō postérieur », est une famille très puissante de la période Sengoku. Elle prend son nom lorsque son chef, Ise Shinkurō, change son patronyme en Hōjō Sōun (北条 早雲), en hommage à l'une des plus puissantes familles de l'ère Kamakura.
(3) Le Koku (石) est une unité de mesure utilisée, notamment, pour mesurer la taille d’un domaine seigneurial. Il représente la quantité de riz mangée par un homme en un an, soit environ 150 kg.
(4) Kuge (公家) est un terme général désignant les nobles et les représentants du gouvernement qui servent les Chotei (朝廷), la Cour Impériale.
(5) Buke (武家) désigne la noblesse militaire attachée au Bakufu, le gouvernement shogunal. Bien qu'apparu avant, lors de Heian-jidai, ce terme est utilisé principalement à partir de la période Kamakura.
(6) Les Ashigaru (足軽) sont les membres d'une unité d'infanterie de base du Japon féodal, principalement constituée de paysans.
(7) Les cinq Tairō (五大老), traduit par « Conseil des cinq Anciens », est créé par Toyotomi Hideyoshi pour diriger le Japon à la place de son fils, jusqu'à ce que celui-ci soit en âge de le faire. Il se compose de Ukita Hideie (宇喜多秀家), Maeda Toshiie (前田 利家), Kagekatsu Uesugi (上杉 景勝), Mōri Terumoto (毛利 輝元) et Tokugawa Ieyasu (徳川 家康). Hideyoshi espère ainsi que les membres du Conseil s'équilibreront mutuellement, ce qui empêchera l’un d'eux de s'imposer. Peine perdue, presque immédiatement après sa mort, les Anciens se divisent rapidement en deux clans, celui des Tokugawa et les autres.
(8) La condition était d'avoir un revenu annuel égal ou supérieur à 10 000 koku. Ceux qui avaient un revenu moindre étaient qualifiés de Shōmyō (小名). Ce qui réduit le nombre de Daimyō à 200 environ.
(9) Dans un sens général, le terme Gōshi (郷士) fait référence aux samurai de rang inférieur résidant dans des villages ruraux. Ils étaient autorisés à adopter un nom de famille et à porter une paire d'épées, mais leur statut était généralement inférieur à celui des Hanshi (藩士), les samurai résidant dans les villes fortifiées, mais toutefois supérieur à celui des paysans.
BIBLIOGRAPHIE NON EXHAUSTIVE
Voici des livres que je peux vous conseiller. Après, il existe énormément d’ouvrages sur les bushi, à vous de choisir.
Les biographies romancées de Charles-Pierre Serain consacrées à Oda Nobunaga et Toyotomi Hideyoshi chez Centon Éditions. Des tomes sur Tokugawa Ieyasu et Takeda Shingen devraient suivre.
Les livres de Shiba Ryōtarō consacrés à Tokugawa Ieyasu chez Les éditions du Rocher, Toyotomi Hideyoshi et Tokugawa Yoshinobu chez Picquier.
Le traité des cinq roues de Miyamoto Musashi chez Budo Éditions. Il existe également une version très jolie chez Nuinui.
Pour sa biographie, personnellement, je conseille Miyamoto Musashi. Maître de sabre japonais du XVIIème siècle, L’homme et l’œuvre, mythe et réalité de Tokitsu Kenji chez Desiris Éditions. Pour ses techniques, L’art du combat de Miyamoto Musashi et des autres samouraïs célèbres de Tanaka Fumon chez Budo.
Les 47 Ronins — Le Trésor Des Loyaux Samouraïs de Georges Soulié de Morant chez Budo. Les 47 Rônins de Osaragi Jirō aux Éditions Philippe Picquier. Pour les anglophones, un récit historique, semble-t-il plus fiable, a été fourni dans le 3e volume de A History of Japan de James Murdoch, dans le chapitre « The Forty-Seven Ronin » (Londres : Kegan Paul, Trench, Trubner & Co., 1926).
La Noblesse de L’échec — Héros Tragiques de L’histoire du Japon de Ivan Morris chez Gallimard. Dans le même style, Histoires de samouraïs : Récits de temps héroïques de Roland Habersetzer chez Budo.
Les romans historiques de Inoue Yasushi, Le sabre des Takeda et La geste des Sanada chez Picquier.
Plus généralistes, mais non moins intéressants :
Le Japon, dictionnaire et civilisation de Louis Frédéric chez Robert Laffont.
Nouvelle histoire du Japon de Pierre-François Souyri chez Perrin Éditions.
SOURCES POUR ÉCRIRE CET ARTICLE
culturejaponaise.info, wikipedia.org, universalis.fr, au-coeur-du-japon.com, voyapon.com, stringfixer.com/fr, fascinant-japon.com, japanese-wiki-corpus.org, williamadams.fr, japanization.org, radiofrance.fr, histoireparlesfemmes.com, nippon.com, ccfjt.com, furansujapon.com, lesitedujapon.com, japan.travel/fr/fr, samurai-chronicles.fandom.com, fudoshinkan.eu , geo.fr, lemonde.fr
TOUTES LES IMAGES DE CET ARTICLE SONT ISSUES DE WIKIPEDIA.ORG