Samurai et bushi, même combat ?
02 oct. 2023Cela faisait longtemps que je voulais écrire un article sur les samurai... Je sais, beaucoup l'ont fait avant moi, mais justement... l'origine réelle de ces hommes d'armes est tellement différente d'un texte à l'autre que je ne pouvais manquer d'essayer d'y voir plus clair.
COMMENÇONS PAR LE MOT SAMURAI (侍)
Le terme, francisé ''samouraï'', est, selon Wikipédia, mentionné pour la première fois dans un texte du Xe siècle. Ce serait un dérivé du verbe ''saburau'' (侍う), ''servir''. D'après Universalis.fr, il viendrait des gardes de la cour impériale et de la haute noblesse désignés sous le vocable de saburai (ou samurai), et ce parallèlement à l'avènement des bushi... Toutefois, ce mot ne fut réellement utilisé que bien plus tard, au XVIIe siècle.
BUSHI ET SAMURAI NE SIGNIFIENT-ILS PAS LA MÊME CHOSE ?
Pas vraiment, ''bushi'' désignait un guerrier avant tout, combattant pour un Seigneur en échange de terres et d'argent. Son rôle était d'agrandir la puissance de son clan, sur le champ de bataille, mais aussi en dehors. Le samurai, lui, tel qu'on le connait de nos jours, était un fonctionnaire armé, laissant le côté guerrier pour les cérémonies, et s'intéressant aux arts, comme la peinture, la calligraphie, l'ikebana, la cérémonie du thé, le Nō... Bien entendu, il obéissait à son Seigneur, l'aidant à gérer son domaine et ses intérêts. Comme le bushi, il faisait partie de l'aristocratie guerrière, mais, contrairement aux idées reçues, utilisait rarement ses armes. N'oublions pas que la période Edo fut une ère de paix pour le Japon, d'où ce changement de voie, pourrait-on dire.
Personnellement, j'utilise volontiers les deux termes... Oui, je sais, ce n'est pas bien... Mais, pour moi, le samurai reste avant tout un guerrier, donc un bushi, ayant, au fil du temps, vu ses prérogatives changer. D'ailleurs, d'après Kotoba, spécialiste de la linguistique japonaise: '' [...] il semble que les mots saburai et bushi aient coexisté depuis environ 800 avec des évolutions sémantiques en fonction de l’époque.[...] jusqu’au 13-14ème siècle, c’était plutôt le mot saburai qui correspondait à un rang supérieur puisque seuls ces derniers pouvaient apparemment monter à cheval. Mais, à part ça, on ne les distinguait pas de manière stricte.''. Toutefois, ne le confondez pas avec le rōnin, dont nous parlerons plus bas.
LES ORIGINES
Il existe plusieurs théories sur l'origine des bushi et il n'y en a pas une qui fasse consensus à l'heure actuelle. Le site Japanese Wiki Corpus en évoque d'ailleurs plusieurs. Kure Mitsuo, dans son livre Les samouraïs, histoire illustrée, en évoque également.
Le terme Bushi (武士) apparaîtrait pour la première fois dans le Shoku Nihongi (続日本紀) qui aurait été achevé en 797. Mais, Japanese Wiki Corpus explique quele mot ''bushi'' lui-même n'aurait pas été couramment utilisé à partir de la période Heian et viendrait de ''busha'', apparu dans la phrase ''松影是雖武者子孫''' (Matsukage était le véritable descendant de busha), dans Oraimono (un manuel pour les gens ordinaires) au milieu de ladite période.
Vous êtes perdus ? Moi aussi, rassurez-vous.
Revenons à Bushi. Le terme trouve son origine dans le mot chinois ''wushi''. Le kanji 武 renvoie à la notion de “guerrier courageux” et 士 sert de suffixe pour indiquer une fonction. Les bushi, ou ''Mononofu'' en japonais archaïque, étaient des cavaliers en armure, dont l'arme principale était l'arc (et non le sabre). Cette nouvelle classe militaire, formée de professionnels et non de conscrits, trouverait son origine dans la volonté de l'Empereur Kammu de conquérir les terres des Ainu (1) à la fin de la période Nara.
Kure Mitsuo pense que ces cavaliers habiles à tirer des flèches et originaires du Kanto, seraient les descendants des coréens qui, après la chute de la colonie nippone de Mimana en 562, et la fin de la dynastie Paekche en 660, trouvèrent refuge au Japon. Redoutant leur influence, le gouvernement les poussa à s'implanter dans la région de l'actuelle Tōkyō. Certains de ces hommes étant des éleveurs de chevaux, on peut donc vite faire le rapprochement. Néanmoins, l'auteur lui-même évoque des contradictions dans cette origine.
Stephen Turnbull, historien britannique et expert du sujet, indique que les bushi passent ensuite rapidement du service impérial à celui des riches propriétaires terriens des provinces, qui doivent lutter contre les Emishi (2), les bandits et les propriétaires terriens rivaux. Il indique également que ceux-ci, bien que d'origine modeste, se placent sous l'égide de descendants de lignées impériales mineures.
Une nouvelle aristocratie émerge, celle des guerriers, appelée Buke (武家), mais, très vite, des tensions apparaissent entre cette noblesse d'arme et l'aristocratie impériale, appelée Kuge (公家). Scission qui, à mon avis, trouve son paroxysme, lorsqu'en 1156, les deux principaux Bushidan (武士団), les clans de guerriers Taira et Minamoto, ainsi que le clan Fujiwara (藤原氏) qui fut l'une des plus puissantes familles nobles du pays, s'affrontent lors de la Rébellion de Hōgen pour succéder au pouvoir. À l'issue de la rébellion de Heiji et de la guerre de Genpei, Minamoto no Yoritomo met en place le shogunat de Kamakura.
Les nobles ont perdu...
LA DOMINATION
Entre le XIIe et le XIXe siècle, la caste guerrière domine littéralement le Japon. L’avènement de Minamoto no Yoritomo en 1185, et sa nomination officielle au poste de Shōgun en 1192, va bouleverser l'équilibre des forces pendant des siècles. Tous les dirigeants du pays font partie de cette classe, le Shōgun, les grands Seigneurs, leurs vassaux... Mais, même s'ils représentent tous la classe dirigeante, il y a énormément de différences entre un petit bushi, ayant parfois du mal à survivre, et un Seigneur... Des différences sociales, bien entendu, mais aussi culturelles.
On considère que le Sengoku-Jidai (戦国時代), période se déroulant entre 1477 et 1573, fut la période faste pour les bushi. Le pays est à feu et à sang, le pouvoir central n'arrive pas à maintenir la cohésion et les Daimyō, qui gouvernent chacun une province, sont en guerre permanente. Beaucoup de guerriers se rebellent, trahissant leur clan, massacrant la population... Cette période s'achève par l'unification progressive du Japon sous l'action d'Oda Nobunaga, puis de Toyotomi Hideyoshi, qui éliminent ou soumettent progressivement les autres Seigneurs. Après la fameuse bataille de Sekigahara en 1600, Tokugawa Ieyasu est nommé à son tour Shōgun en 1603 (ce que ces deux prédécesseurs n'avaient pu réaliser) et établit une ère de paix qui durera jusqu'au XIXe siècle...
Beaucoup de changements vont découler de cette nomination et de la mainmise du clan Tokugawa sur le pays.
UN GUERRIER EXEMPLAIRE ?
Même si le bushi d’avant la période Edo combat pour un Seigneur, pour son clan, il se bat également pour ce que cela peut lui apporter, ne l'oublions pas. Le terme ''mercenaire'' ne lui irait pas, même s’il arrive que le peuple le voit ainsi, car il a quand même des principes et un code de conduite… toutefois…
Pierre-François Souyri, dans son Histoire du Japon médiéval – Le monde à l'envers (Tempus) mentionne le mot ''opportuniste'' :
L’épisode ici montre les limites de la fidélité censée exemplaire du guerrier japonais. Pour peu que la situation devienne difficile sur le plan militaire, le samouraï est prêt à trahir pour déserter. C'est la victoire qui l'attire et la perspective des récompenses. Il est avant tout opportuniste.
L’épisode dont parle ici l'auteur est celui où, en 1184, Noriyori, frère de Minamoto no Yoritomo écrit à celui-ci une missive désespérée pour lui demander de l'aide : '’À cause du manque de vivres, les hommes sont divisés et languissent chacun après leur pays et plus de la moitié d'entre eux est décidé à déserter pour rentrer chez soi.’’ Ce n'est pas le seul exemple cité. Quelques pages plus tôt, Souyri évoque, en parlant des Taira, les ennemis des Minamoto : '’Depuis son départ du Kinai (actuel Kansai), l’armée Taira a vu fondre ses effectifs : ses guerriers désertent au fur et à mesure qu'ils progressent vers l'est. Face à leurs adversaires, ils s'enfuient. Ils ont confondu de nuit le bruissement des poules d'eau avec une attaque ennemie […].’’ S'en suit un extrait du Dit du Heike narrant cette mésaventure.
Notons que pendant la période Heian allant de 794 à 1185 (les exemples cités se déroulant lors de la Guerre de Genpei), les armées n’étaient pas entièrement composées de bushi à cheval, loin s'en faut. Ceux de rang inférieur allaient à pied, servant d’auxiliaires, et on y trouvait également des fantassins puisés dans la manne paysanne du clan. Certes ces derniers ne devaient pas hésiter à prendre leurs jambes à leur cou dès lors que la situation devenait inconfortable, et on les comprend… Mais les guerriers ne devaient pas être en reste… Bien entendu, les bushi suivaient La Voie de l'arc et du cheval, ancêtre du Bushidō (voir plus bas), mais ils n'en restaient pas moins des hommes, et il est fort à parier que ce genre de situation s'est mainte fois répétée.
LE CHANGEMENT DE STATUT
Comme vu plus haut, l'ère Edo est une période de paix, suite à la réunification du pays. Le rôle du bushi finit par changer, de gré ou de force, devenant un fonctionnaire au service d'un Seigneur. Ne croyez pas autant que ce soit le déclin, le samurai vit selon des principes définis, le fameux Bushidō et vit, parfois, mieux qu'avant, bénéficiant d'une rente régulière. La caste guerrière domine toujours le pays, et les samurai représentent 5 à 7% de la population...
Des règles strictes sont édictées et le shogunat Tokugawa met en place le shinōkōshō (士農工商), un système hiérarchique confucéen de classification des individus par rapport à leur origine sociale et leur métier, destiné à stabiliser le pays. Par ordre d'importance : Guerriers (BuSHI), Paysans (NŌmin), Artisans (KŌgyō), Marchands (SHŌnin). Puis venait les autres : les personnes pratiquant une activité liée à la mort (comme les bouchers et les tanneurs) faisaient partie de la classe des parias, appelée Eta (穢多), puis venait les Hinin (非人), les intouchables.
Cet ordre avait son importance, mais ne changeait pas grand chose à la vie quotidienne.. surtout pour les plus bas dans l'échelle..
Bien entendu, les bushi possédaient leur propre classification
Après le Shōgun, vient les Daimyō. Chacun gère une province, appelé Han, et seules les familles possédant au moins 10 000 koku (3) de revenus peuvent espérer accéder à ce titre tant convoité. Comme nous l'avons vu dans l'article les concernant, trois catégories avaient été créées, suite à la bataille de Sekigahara : Shimpan Daimyō, Fudai Daimyō et Tozama Daimyō.
Les samurai, eux, étaient divisés en plusieurs groupes, citons :
1 - Les Hatamoto (旗本) ou Jikisan Hatamoto (直参旗本) sont des hommes dépendant directement du Shōgun, mais dont le fief n'a pas assez de valeur pour prétendre au titre de Daimyō. À l'origine, les Hatamoto étaient des vassaux directs des seigneurs et beaucoup les utilisaient comme force d'élite ou garde du corps.
2 - Les samurai dépendant d'un Daimyō. Certains ont un accès direct à leur Seigneur et peuvent occuper des positions de confiance, d'autres atteignent un niveau de richesse leur permettant de conserver leurs propres vassaux... Mais beaucoup, la grande majorité en fait, peuvent ne recevoir qu'un salaire de misère et travaillent comme gardes, voire messagers. Il faut savoir que la position de chacun au sein de cette classe est, en grande partie, héréditaire, et même les plus talentueux ne peuvent espérer, au mieux, qu'une ascension sociale très limitée qui n'ira pas au-delà de leur condition de naissance.
3 - Le Joshi (上士), un serviteur de la classe supérieure à l'ère Edo, supérieur aux Heishi et Gōshi (郷士), les samurai de rang inférieur résidant dans les villages ruraux.
On peut également citer, le Jizamurai (地侍), le seigneur d'un petit domaine rural de la période Muromachi à la période Azuchi Momoyama, le Doshin (同心), un fonctionnaire de bas niveau du bakufu d'Edo qui occupait une fonction publique pour conduire les affaires générales et le travail de police en tant que subordonné du sergent de police...
LE DÉCLIN ET LA DISPARITION
Pour Pierre-François Souyri :
Le déclin des samouraïs est amorcé dès lors qu’une autre classe sociale émerge, une bourgeoisie urbaine et commerçante qui conteste l’hégémonie culturelle des samouraïs […] La plupart des samouraïs sont pauvres. Le développement économique de la société les paupérise. Ils sont coincés dans un statut très hiérarchisé : quand on est un fils de daimyô, on devient daimyô, mais quand on est un fils de samouraï pauvre, on devient samouraï pauvre.
Les samurai disparaissent au début de l’époque Meiji (1868-1912), lorsqu’ils perdent l’ensemble de leurs privilèges, dont le port du sabre (Haitōrei 廃刀令), et leurs revenus. C'est, pour moi, l'une des choses les mieux transcrites dans le film d'Edward Zwick avec Tom Cruise. Privés de leurs droits, certains se soumettent, tandis que d'autres se révoltent, comme lors de la Rébellion de Satsuma en 1877.
Une armée permanente est créée, ainsi qu'une force de police.
ET LE KATANA ?
Vous vous en doutez, au fil du temps, les armes des bushi ont évolué. Le guerrier de l’ère Heian est avant tout un cavalier utilisant l’arc. Les Bushi utilisent longtemps le tachi et le tantõ, puis les fameux katana (刀) et wakizashi qui, portés ensemble, formant le Dai-shō (大小).
La fin de la période Muromachi marque un tournant dans la qualité de ces sabres. Les katana sont au meilleur de leur fabrication, et sont appelés Shintō. La période Edo, elle, voit l’apparition des Shinshintō. Selon la plupart des écoles traditionnelles, seule l'une des deux lames doit être utilisée pour combattre. Cependant, Miyamoto Musashi favorise l'utilisation de la prise à une main qui permet de manier deux épées simultanément. Arme de taille et d'estoc, le katana passe pour l'une des épées les plus tranchantes qui soit. Suite à la ''chasse aux épées'' (Katanagari, 刀狩) ordonnée par Toyotomi Hideyoshi en 1588, le port du daishō est exclusivement réservé à la classe des guerriers.
Enfin, en 1876, il est interdit aux samurai de le porter.
Suite à la seconde Guerre mondiale, beaucoup de ces armes furent détruites ou emportées par des soldats américains. C'est pourquoi vous pouvez toujours en trouver hors du Japon, alors que celui-ci a grandement codifié la vente de ces biens culturels.
On peut également citer :
Le Nodachi (野太刀), un grand sabre peu maniable. D'ailleurs, les deux mains étaient nécessaires pour l’employer. Dans Les Sept Samouraïs, de Akira Kurosawa, Kikuchiyo porte ce type d'arme.
La Naginata (薙刀), une arme d'hast particulièrement appréciée des moines-guerriers et des Onna-bugeisha. À ne pas confondre avec la Yari (槍), une lance d'environ 2,5 mètres, voire 4 mètres, à hampe et lame droite
Le Tachi (太刀), un sabre de cavalerie, précurseur du katana, qui a accompagné les bushi durant des siècles.
Le Tantō (短刀), une dague.
Le Kogatana (小刀), un petit couteau, rangé dans le fourreau d'un Katana. Il pouvait être accompagné d'un Kogai, une petite lame à multiples usages, comme gratter les sabots du cheval ou servant d'épingle à cheveux.
Le Iaitō (居合刀), une arme d'entrainement utilisée dans l'étude du Iaidō et du Iaijutsu.
Le Bokken (木剣), un sabre en bois rigide. À la base, il s'agit d'une arme d'entrainement, mais Miyamoto Musashi remporta certains de ses duels les plus célèbres grâce à lui.
DES FEMMES SAMURAI
Certes, les femmes de bushi étaient des femmes au foyer, mais il existait une classe, les Onna-bugeisha (女武芸者), formées à l'utilisation des armes, dont la naginata, pour se défendre elles-mêmes, mais aussi leur foyer en temps de guerre.
À l'époque Edo, le statut de l'onna-bugeisha diminue significativement, vu que le pays est en paix.
L'une des plus connue reste Tomoe Gozen (巴 御前), ayant vécu entre 1157 et 1247. Elle combat auprès de son amant Minamoto no Yoshinaka, au cours de la Guerre de Genpei, et ses exploits sont relatés dans le Heike Monogatari.
QUELQUES TERMES EN LIEN AVEC LES SAMURAI
Shōgun (将軍)
Abréviation de Seii TaiShōgun (征夷大将軍), que l'on peut traduire par ''Grand général pacificateur des barbares''. Ce titre, à l'origine, n'était décerné que sur une courte période (2). Néanmoins, après qu'il fut attribué à Minamoto no Yoritomo en 1192, il désigna de facto le dirigeant militaire du Japon, alors que l'Empereur perdait ses pouvoirs et devenait le gardien des traditions. En dehors de Minamoto no Yoritomo, seuls Ashikaga Takauji et Tokugawa Ieyasu, tous deux descendants des princes Minamoto, reçurent ce titre, qui se transmettait ensuite de père en fils, de façon officielle. Par exemple, lorsque Minamoto no Yoritomo mourut des suites d'une chute de cheval, si deux de ses fils ont bien été nommés Shōgun, ils furent tous deux assassinés, et, au final, le pouvoir revint aux Shikken (des régents), tous pris successivement dans le clan Hōjō, dont la femme de Minamoto, Masako, était originaire, et ce jusqu'en 1333. En ce qui concerne les Ashikaga, leur shogunat dura de 1338 à 1573, et celui des Tokugawa recouvrit la période de 1603 à 1867.
Daimyō (大名)
Ce terme désigne les gouverneurs de provinces, successeurs des Shugo (守護) des périodes Kamakura et Muromachi. J'ai déjà consacré un petit article aux Daimyō, n'hésitez pas à le consulter.
Rōnin (浪人)
On pourrait écrire un article complet sur ces guerriers... Le terme, pouvant être traduit par ''Homme-vague'', daterait de l’époque de Nara et aurait concerné, à l'origine, ceux qui désertaient leurs maîtres, qu'ils soient guerriers ou simple serfs. Il a ensuite désigné plus particulièrement les bushi exclus de la société pour diverses raisons, comme la mort de leur Seigneur, leurs propres fautes ou la défaite au combat. Même su certains choisissaient de se faire seppuku, d'autres préféraient changer de métier, devenant fermier, voire Komusō (虚無僧), des prêtres errants vivant d'aumônes. Malheureusement, beaucoup se tournaient vers le banditisme. Lors de la période Edo, le nombre de rōnin alla en croissant. Plus de 220 clans furent anéantis ou considérablement diminués au début du XVIIe siècle, ce qui laissa beaucoup d'anciens samurai sur la route. De plus, le shogunat Tokugawa mis en place un système rigide qui interdisait aux samurai de changer de maître, de se marier hors de leur clan ou d’avoir des occupations extérieures à celui-ci sans la permission de leur ancien suzerain... Des mesures furent prises contre les rōnin, comme l'interdiction à un rōnin ''licencié'' de son clan par son Seigneur, ou s'en étant séparé volontairement, d'être repris par lui. De même, un rōnin condamné pour un délit ne pouvait être repris... Ils finirent donc par poser un problème social important. Beaucoup participèrent au siège d'Ōsaka ou à la répression des paysans chrétiens insurgés de Shimabara. Ce fut finalement sous Tokugawa Ietsuna, Shōgun entre 1651 et 1680, que les choses s'arrangèrent, un peu, pour eux, avec un relâchement de la répression. Ces nouvelles mesures visant surtout à faire diminuer leur nombre.
Bushidō (武士道)
La Voie du guerrier ne concerne pas vraiment les bushi... mais les samurai. Car, contrairement aux idées reçues, même si les principes fondamentaux existaient déjà, le Bushidō, en tant que tel, n'est apparu qu'à la période Edo, avec l’arrivée du néo-confucianisme. Les bushi ont longtemps suivi le kyūba no michi(弓馬の道), la Voie de l'Arc et du Cheval, un ensemble de règles et coutumes non-écrites auxquelles ils étaient censés se conformer. Précurseur du bushidõ, il ne faut toutefois pas les confondre. Comme vu dans l'article sur le Seppuku, les sept grandes vertus confucéennes associées au bushidō sont la droiture, le courage, la bienveillance, la politesse, la sincérité, l’honneur et la loyauté. Ce code stipule les devoirs et les obligations morales des samurai, quiconque s’en écarte est déshonoré et perd ainsi sa qualité de samurai. Deux grands ouvrages réglemente la vie de ces derniers : Le Bushidō de Yamaga Sokõ codifie les grands principes moraux qui existent entre un samurai et son maître, alors que le Hagakure de Yamanoto Tsunemoto fixe tous les actes des samurai.
Ashigaru (足軽)
Les ashigaru n'étaient aucunement des bushi, mais leur place dans l'armée était indispensable. Unités d'infanterie de base du Japon féodal, au départ principalement constituées de paysans, leur nom vient du peu de protections qui les recouvraient et signifie ''pied léger''. Lors de la période Sengoku, ils devinrent de vraies troupes d'infanterie, armées d'arquebuses (4). Ils ont joué un rôle décisif dans la victoire d'Oda Nobunaga sur la cavalerie de Takeda Shingen à la Bataille de Nagashino.
Shinobi (忍び)
J'y consacrerais certainement un article un jour, vu l'enthousiasme des occidentaux pour les ninja (忍者). Adeptes de l'espionnage, du sabotage, de l'infiltration, de l'assassinat et de la guérilla, ils furent allègrement utilisés pendant la période Sengoku. Toyotomi Hideyoshi et Tokugawa Ieyasu eurent fréquemment recours à ces agents de renseignement. Par contre, Oda Nobunaga n'hésita pas à mettre à feu et à sang la province d'Iga, connue avec celle de Kōga pour être un fief des shinobi, entre 1579 et 1581, sous prétexte que ceux-ci mettaient son autorité à mal.
QUELQUES NOMS DE BUSHI CÉLÈBRES
Hormis Oda Nobunaga, Toyotomi Hideyoshi et Tokugawa Ieyasu qui ont fondamentalement changé le visage du Japon, beaucoup de bushi ont, à travers les siècles, marqué le pays. J'ai, hélas, dû faire des choix et cette liste de cinq noms ne reflétera certainement pas votre propre ''classement'', et, surtout, n'enlève rien à la valeur des guerriers non cités.
Minamoto No Yoshitsune
Jeune général de l’armée des Minamoto, Yoshitsune est le demi-frère de Minamoto no Yoritomo. Élevé par des moines-soldats, il se fait rapidement remarquer par ses talents de guerrier et monte vite en grade pour devenir général de l'armée Minamoto. Ses actes de bravoure sont légions, notamment lors des batailles de Ichi no Tani et de Dan no Ura (1185). Malheureusement, son aura est telle que son demi-frère voit en lui un potentiel ennemi... Poursuivi par les troupes du Shōgun et trahi par ses propres amis, il se fait seppuku, assisté par son fidèle compagnon, le moine Benkei.
Date Masamune
Le Daimyō de Sendai est fin politique et stratège, mais il est aussi cruel et dirige son clan d'une main de fer. Il participa à sa première campagne à 14 ans et prend la tête du clan à 18, non sans avoir dû tuer son frère cadet quelques années plus tôt, suite aux intrigues de sa mère pour le spolier de ses droits. Il commence par agrandir son domaine aux dépends du clan Aizu, confisque leur château en 1589 et l'offre à Toyotomi Hideyoshi, qu'il suit ensuite dans ses campagnes d’invasion de la Corée en 1592 et 1597. Il assiste Tokugawa Ieyasu à la bataille de Sekigahara, s’assurant ainsi un vaste domaine et un confortable revenu de plus de 60000 koku (3). Bienveillant envers la communauté chrétienne, il envoie, en 1613, la première délégation japonaise en Europe, mais, au final, l’interdiction de cette religion par le shogunat Tokugawa, l’amènera, par allégeance, à pourchasser lui-même les chrétiens.
Takeda Shingen
Génie militaire, Takeda Shingen, né sous le nom de Takeda Katsuchiyo, est l'un des principaux Daimyō du Sengoku Jidai. Descendant d’une très longue lignée de Shugo depuis l’époque Kamakura, sa vie fut une succession de batailles. Son premier grand ennemi est Uesugi Kenshin, un autre grand nom de cette époque, qu’il finit par vaincre après onze années de combat acharnés. Il est également connu pour ses alliances et oppositions répétées à Oda Nobunaga, Tokugawa Ieyasu, Imagawa Yoshimoto et le clan des Hōjō. Le film d’Akira Kurosawa, Kagemusha, retrace l’épopée finale du clan Takeda, et il est l'un des protagonistes du roman de Inoue Yasushi, Le sabre des Takeda, retraçant, de façon romancée, la vie de Yamamoto Kansuke, le chef stratège des 24 généraux de Takeda Shingen.
Miyamoto Musashi
On ne présente plus Miyamoto Musashi, épéiste, mais aussi calligraphe, peintre, philosophe. Impossible de réduire sa vie en quelques lignes... L'auteur du fameux Gorin-no-sho (五輪書) n'a jamais perdu un duel, que ce soit contre les maîtres de l'école d'escrime Yoshioka, à Kyōto, ou contre Sasaki Kojirō, qu'il vainquit sur l'île de Funa... avec une rame taillée... Rōnin, il finit par fonder son école et créa un style à deux sabres, choses inconcevable à l'époque... Toutefois, une partie de la vie du sabreur est un savoureux mélange entre la réalité et la légende et il est difficile de séparer le mythe de l'homme. Il est le principal personnage du roman Miyamoto Musashi (traduit en deux tomes : La Pierre et le sabre et La Parfaite lumière) de Yoshikawa Eiji. N'hésitez pas à lire cet article, si vous désirez en savoir plus sur le plus célèbre escrimeur du Japon.
Takamori Saigō
Celui qu'on surnomme Le dernier samurai a inspiré les scénaristes du film de Edward Zwick, pour le rôle joué par Watanabe Ken. C'est certainement l'une des figures historiques japonaises les plus emblématiques. Lors de la guerre de Boshin, il mène les troupes impériales, et devient l'un des fervents meneurs de la Restauration de Meiji. Occupant un poste important au sein du nouveau gouvernement, Saigō comprend rapidement que la modernisation du Japon est inéluctable, et que les jours de la classe des samurai sont comptés. Il finit par démissionner de ses fonctions, retourne dans sa province d'origine, Satsuma, et fonde une école militaire pour former les jeunes guerriers de la région... ce que le gouvernement voit d’un très mauvais œil... Celui-ci finira par tenter de l'assassiner, ce qui mettra le feu aux poudres. Le 24 septembre 1877, Takamori Saigō ordonne à ses troupes de se battre jusqu’à la mort. Les rebelles livrent bataille aux forces gouvernementales dans différents endroits, avant d’être encerclés, puis vaincus, sur le mont Shiroyama. Blessé, il se donne la mort par seppuku. Il a 49 ans. L'une des statues les plus célèbres le représentant se trouve dans le parc d'Ueno.
Des étrangers méritent toutefois leur nom dans cette liste
William Adams (1564-1620) était un navigateur anglais devenu samurai sous Tokugawa Ieyasu, alors encore Daimyō. Celui-ci le prend en affection, et fait de lui un diplomate et conseiller commercial. Adams finit par devenir son conseiller personnel sur les questions occidentales, et remplace même le Jésuite João Rodrigues en tant qu'interprète officiel. Il a servi de modèle pour le personnage principal du jeu vidéo Nioh, sorti en 2017 sur PS4.
Beaucoup de mystères entourent la vie de Yasuke. Né sur l’île de Mozambique dans les années 1530 ou 1540, l’homme arrive au Japon en tant qu’esclave en 1579. Chargé de servir et assurer la protection du jésuite Alessandro Valignano, il suscite tout de suite l’intérêt des japonais. Oda Nobunaga va même jusqu'à lui faire prendre un bain, croyant qu'il est peint... Au final, le puissant Daimyō demande à Valignano, qui doit quitter le Japon, de laisser son serviteur derrière lui. Vite libéré et élevé au rang de samurai, Yasuke devient l’un des gardes du corps de Nobunaga, ayant le droit de porter les deux sabres, le Seigneur allant même jusqu'à lui confier sa propre lance... Outre un projet de film américain..., Thierry Gloris et Emiliano Zarcone se sont associés pour adapter sa vie en bande dessinée. Le premier tome de Kurusan, le samouraï noir, sortira en 2021.
Enfin, Jules Brunet, officier français, polytechnicien décoré de la croix de la Légion d'honneur, sert, au nom de la France, le shogunat Tokugawa lors du conflit l'opposant au futur Empereur Meiji. La France adoptant une position de neutralité en 1868, la mission est rappelée.
Mais le capitaine Brunet choisit de rester au Japon pour se battre. Après la défaite du Shōgun, Jules Brunet et quelques militaires restés à ses côtés, sont contraints de rentrer en France. Suspendu, il reprendra du service en 1870 et terminera sa carrière au grade de Général.
POUR TERMINER, JE VOUS CONSEILLE QUELQUES OUVRAGES
On ne peut passer à côté de Stephen Turnbull et Pierre-François Souyri, les deux spécialistes actuels de l'Histoire japonaise. Le premier n'a vu que peu de ses livres traduits en français, donc je vous conseille Les Samouraïs, sorti en novembre 2019 chez Les Éditions de Grenelle. Pierre-François Souyri a écrit de nombreux livres sur le sujet, si vous ne de n'en choisir qu'un, je vous conseillerais Samouraï 1000 ans d'histoire du Japon, chez Presses Universitaires de Rennes. Je l'ai, il est de très bonne facture. La vie quotidienne au Japon à l'époque des samouraï (1185-1603) de Louis Frédéric est introuvable en neuf, mais vaut le coup si vous le trouvez pas trop cher. Pour finir, Sekigahara la plus grande bataille de samourais de Jérémie Peltier chez Passes Composes, est bien conçu et complet
Budo Éditions a une jolie collection où vous pourrez retrouver le Hagakure de Yamamoto Tsunetomo, dont j'ai parlé dans l'article sur le seppuku et plus haut, Bushido, le code du samourai de Nitobe Inazō et, autre livre majeur pour comprendre ces guerriers, le fameux Livre des cinq roues de Miyamoto Musashi.
En parlant de Miyamoto Musashi, je vous conseille la biographie Miyamoto Musashi maître de sabre japonais du XVIIème siècle de Tokitsu Kenji, bien meilleure que celle de William Scott Wilson. Et puisqu'on évoque des guerriers célèbres, n'oublions les livres de Charles-Pierre Serain sur les unificateurs du Japon, chez Centon Éditions : Oda Nobunaga et Toyotomi Hideyoshi sont déjà parus. Le troisième, consacré à Tokugawa Ieyasu, devrait sortir sous peu.
Je pourrais également citer Les 47 rônins : Le trésor des loyaux samouraïs de George Soulié de Morant chez Budo Éditions ; pas toujours simple d'accès, Le Dit des Heiké, Le Dit de Hōgen et Le Dit de Heiji chez Verdier Éditions, vous permettra d'en savoir plus sur la guerre entre les Taiga et les Minamoto ; Histoires De Samouraïs - Récits De Temps Héroïques de Roland Habersetzer chez Budo Éditions, regroupe des histoires de bushi célèbres ; et, pour finir, l'excellent livre de Ivan Morris, La noblesse de l’échec, où vous pourrez découvrir ''la vie tragique de neuf personnages authentiques qui tous se dressèrent contre des forces supérieures aux leurs, et finirent par succomber malgré les ressources immenses de leur courage et de leur volonté ''. (Source : Gallimard).
NOTES
(1) Les Ainu constituent une population aborigène vivant dans le Nord du Japon et à l'extrême Est de la Russie. Ils sont pour la première fois mentionnés par les Japonais dans le Kojiki, en 712. Différentes ethnies habitaient le Japon, on peut citer les Aïnous du Tōhoku et ceux d'Hokkaidō. Malheureusement, le peuple Aïnou semble en voie de disparition. On compte actuellement entre 25 000 et 200 000 membres, même si aucun recensement exact n'a été fait. Je vous conseille Golden Kamui (ゴールデンカムイ), un seinen manga de Satoru Noda, où vous pourrez en apprendre plus sur les us et coutumes des Aïnous, mais aussi sur la guerre russo-japonaise de 1904-1905.
(2) Terme utilisé par les Japonais de la période Nara et du début de la période Heian pour désigner les populations indigènes du Tōhoku qui refusaient de se plier à l'autorité de l'Empereur du Japon, dont les Ainu. D'ailleurs, le titre de Seii Taishōgun était, à la base, attribué au général chargé de mater les Emishis.
(3) Le koku (石) est une unité de mesure traditionnelle de volume qui représente la quantité de riz mangée par une personne en un an. Un koku de riz pèse environ 150 kg, pour 278,3 litres. Le kokudaka (石高) équivaut au revenu de chaque fief en koku, ceci fixant ni plus ni moins l'ordre protocolaire à la cour shōgunale.
(4) Les premiers fusils occidentaux ont été introduits par les Portugais en 1543, année où un bateau portugais, faisant le trajet de Chine à Okinawa, a accosté sur l'île de Tanegashima, qui donna son nom à ces armes. Les Japonais ont très vite copié ces fusils et les ont produits en grande quantité, mais ce fut pendant le Sengoku Jidai que ces armes furent le plus utilisées. Lors de la période Edo, la prolifération des armes à feu devint étroitement contrôlée, menant même à leur abandon quasi total.
SOURCES
Wikipedia.org , Samourais.fr , Franceculture.fr , Kotoba.fr, Lemonde.fr, Gotokyo.org, Japanese-wiki-corpus.github.io
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