J'aime le Japon, son Histoire, ses coutumes... vous le savez si vous suivez la page et le site ''Le Japon et moi''. Toutefois je ne suis pas un spécialiste comme Pierre-François Souyri, Stephen Turnbull ou comme pouvait l'être feu Louis Frédéric, pour ne citer qu'eux. Je pourrais également parler de Charles-Pierre Serain, l'auteur de livres sur les unificateurs du Japon et qui, quotidiennement, partage sur sa page Facebook moults informations sur les traditions, l'Histoire, mais aussi sur des films, livres... N'hésitez pas à y faire un tour, c'est toujours très intéressant. Et, franchement, si l'Histoire du Japon et son unification suite au Sengoku Jidai (戦国時代) vous intéresse, je ne peux que vous conseiller ses ouvrages sur Oda Nobunaga et Toyotomi Hideyoshi. Le troisième, consacré à Tokugawa Ieyasu, devrait sortir.

Pour en avoir déjà discuté avec un ami et avoir visionné une vidéo évoquant quelque peu le sujet, je me suis dit que le Tameshigiri (試切) et le Tsujigiri (辻斬) étaient deux pratiques assez méconnues, voire confondues.

Âmes sensibles s’abstenir, car ce qui suit est assez loin des prouesses guerrières des bushi... Par contre, ici, je ne parlerai pas du Battōdō (抜刀術), l'art de la coupe enseigné dans les Koryu (古流), les anciennes écoles d'arts martiaux japonais (l’article est suffisamment long comme cela).

Ne connaissant le sujet qu'en partie, je me suis aidé de diverses sources dont vous trouverez la liste en fin d'article.

LE TAMESHIGIRI

Cette pratique a été popularisée à l'époque Edo (1603-1867), même si elle existait avant, bien entendu. Ce terme signifie littéralement ''test de coupe'' et consistait à vérifier la capacité de coupe d'une lame, d'un katana, mais aussi d'un wakizashi. À l'issue de la forge, la lame devait donc être testée, que la commande soit pour un Daimyo ou pour un simple samurai. C'était la réputation du forgeron qui était en jeu, voire sa vie. Il arrivait que celui-ci se présente en tenue cérémonielle, prêt à se faire seppuku (切腹) en cas d'échec.

Illustration d'un livre de 1927
Illustration d'un livre de 1927

Le samurai testait donc sa propre future lame ou, le plus souvent, celles commandées par son seigneur pour armer ses hommes. Ces tests se faisaient sur différents supports tels que des barreaux de chêne vert, des barres de fer, des casques, des armures... Mais, il faut bien l'avouer, ils étaient le plus souvent effectués sur des humains : des cadavres empilés, mais aussi des condamnés à mort ou des ennemis du clan adverse...

Les condamnés étaient le plus souvent exécutés avant, mais ce n'était pas toujours le cas, comme vous pouvez le constater sur l’illustration ci-contre.

Pour réaliser ces essais, on plaçait le ou les cadavres sur un monticule de sable d'environ 30cm de haut, appelé Dodan. Il existait différents types de découpe. Citons le Kesa-giri, une coupe en diagonale depuis l'épaule jusqu'à la hanche opposée, ou le Tabi-gata, la coupe de la cheville.

Le plus souvent, le forgeron indiquait sur la Nakago, la soie de la lame (partie insérée dans la Tsuka), le nombre de corps coupés, en notant parfois la date et le nom du testeur. On pouvait y lire des inscriptions, telles que "cinq corps avec Tsuihei (une coupe horizontale)"

Il va sans dire qu'une telle inscription, connue sous le nom de Tameshi-mei (試 し銘) ou Saidan-mei (裁 断銘), ajoutait considérablement à la valeur d'un sabre. L'un des records inscrits sur un Nakago date de 1681 avec sept corps tranchés...

De nos jours, les tests se font sur des bottes de paille de riz ou de roseau, parfois renforcées en leur centre d'une tige de bambou.

Nakago comportant des informations de test (Samuraisword.com)

Nakago comportant des informations de test (Samuraisword.com)

LE TSUJIGIRI

En effet, ce terme est souvent confondu avec Tameshigiri, et ce pour une bonne raison... Il s'agissait également de vérifier la qualité d'une nouvelle lame, mais, là où le Tameshigiri était un test officiel, en présence du forgeron le plus souvent, dans des conditions optimum... le Tsujigiri consistait à tester l'efficacité de son nouveau katana en s'attaquant directement à un adversaire humain, de préférence sans défense...

Avant la période Edo, il s'agissait le plus souvent d'un duel entre bushi, mais lors de celle-ci, qui fut une période de paix, rappelons-le, des samurai s'essayaient à cette pratique signifiant littéralement "coupe de carrefour'', se référant au fait que les pratiquants attendaient souvent leur victime à la croisée des chemins...

N'importe qui pouvait en être victime, un paysan, un marchand... Il suffisait, hélas, d'être au mauvais endroit au mauvais moment. Le plus connu des Tsujigiri est advenu à un célèbre forgeron, Hankei, que l'on retrouva tranché en Kesa-giri... (Pour la petite histoire, l’un des sabres de ce Maître forgeron s’est vendu plus de 60.000 dollars chez Christie’s en 2005)

Illustrations de Tsujigiri (Edoflourishing.blogspot.com)

Illustrations de Tsujigiri (Edoflourishing.blogspot.com)

Il semblerait que, peu à peu, la notion de victime inconnue et choisie au hasard soit devenue un aspect très important du Tsujigiri.

On décapitait quelqu’un pour tester son nouveau sabre, mais aussi pour s’en­traî­ner à un nouveau mouve­ment, à tester sa puis­sance... Finalement, le Shogunat rendit la pratique punis­sable et celle-ci devint l’apa­nage des crimi­nels, dans le but de tuer un adversaire ou de pratiquer un vol... Les Kabuki-mono (1) étaient connus pour ce type d'attaque. D'ailleurs, Fuwa Kazuemon, l'un des 47 Rönin, était connu pour mener des Tsujigiri. Ces attaques seraient l'une des raisons de la création des Yakuza, dans une tentative des roturiers de se défendre. J'utilise le conditionnel, vu que certains considèrent les yakuza comme des descendants des Kabuki-mono justement, alors qu'eux-mêmes préfèrent se désigner comme descendants des Machi-yokko (2) qui luttaient justement contre eux... tout en étant également des bandits...

Estampe représentant Fuwa Katsuemon par Utagawa Kuniyoshi

Estampe représentant Fuwa Katsuemon par Utagawa Kuniyoshi

Les criminels qui étaient pris à pratiquer le Tsujigiri étaient condamnés à la peine capitale... On peut imaginer que certains furent victimes du Tameshigiri, ce qui, à mon avis, n'aurait été que justice. La pratique finit par disparaître peu à peu.

Estampe représentant un Tsujigiri (Samuraisword.com)
Estampe représentant un Tsujigiri (Samuraisword.com)

Pour terminer, on ne doit pas confondre le Tsujigiri avec Kiri-sute gomen (斬り捨て御免) qui permettait au bushi de frapper toute personne de rang inférieur qui aurait insulté son honneur ou sa position de quelque manière que ce soit, et de laisser le corps où il se trouvait, sans crainte d'indemnisation ou de punition. Kiri-sute gomen peut se traduire par "autorisation de couper et de laisser", mais le terme exact est Uchi-sute (打 捨) "frapper et abandonner", voire Burei-uchi (無礼 打) "offenser et frapper". Le droit de recourir à une telle action n’était autorisé qu’en cas d'entrave aux fonctions officielles d'un samurai, de grossièreté, de diffamation, d'attaque délibérée ou de conflit avec un samurai... Et ce droit devait être exercé immédiatement et ne pas concerner des infractions passées. De plus, il devait être réalisé en une seule coupe, une coupure secondaire ou un coup de grâce n'étaient pas autorisés... et, de préférence, devant témoin... Le samurai risquait beaucoup si son action n’était pas justifiée : il pouvait être démis de ses fonctions, sa maison et ses biens confisqués et sa famille dépossédée. Au pire, il pouvait être condamné à commettre le seppuku, voire être décapité comme un vulgaire criminel.

 

Le samurai avait le droit de couper les roturiers (Samuraisword.com)

Le samurai avait le droit de couper les roturiers (Samuraisword.com)

NOTES

(1) Les gangs de Kabuki-mono étaient des groupes de voleurs, souvent composés de rõnin, proéminents à la fin de la  période Sengoku et au début de la période Edo. Le terme se traduit approximativement par ''excentrique'', car les caractères qui le composent signifient, essentiellement, celui (者) qui se penche (傾) et est inhabituel (奇). Les kabuki-mono étaient réputés pour porter un kimono de couleur criarde et violer les normes de la mode (certains portaient un kimono féminin) et se livrer à un comportement sauvage.
(2) On peut considérer les Machi-yokko comme des milices citoyennes, défendant le peuple contre les exactions de certains samurai, des rõnin ou des kabuki-mono, suite à la ''Pax Tokugawa''. Ils étaient perçus comme de véritables héros, mais échappaient à tout cadre juridique.

BIBLIOGRAPHIE
 

  • Samouraï, 1000 ans d'histoire du Japon de Pierre-François Souyri chez  ‎PUR (Presses universitaires de Rennes)
  • Samouraïs de Kure Mitsuo chez Picquier


SOURCES

Wikipedia.fr, Artkatana.com, Nipponto-ken.net , Nihon-token.com , Ulyces.co , Wiki.samurai-archives.com , Samuraisword.com

LES IMAGES DE CET ARTICLE, SAUF MENTION CONTRAIRE, SONT ISSUES DE WIKIPEDIA.ORG

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