Le Seppuku ou l'art de mourir dans la ''dignité''
02 oct. 2023Ne croyez pas que ce soit morbide, mais le rite du seppuku m'a toujours fasciné. Mon premier souvenir est télévisuel avec ''Shogun'', la mini-série tirée des livres de James Clavell avec Richard Chamberlain... Depuis, les jidai-geki (時代劇) m'ont permis d'assister à moults suicides rituels, mais jamais présentés de la même manière... J'ai donc essayé, au travers de cet article, de comparer mes connaissances avec plusieurs sources et de compiler des informations viables... Pas évident...
Beaucoup d'entre-nous connaissent le terme de Hara-kiri (腹切り), mais ce mot, utilisé par les occidentaux, est souvent ‘’confondu’’ avec Seppuku (切腹). Bien qu'utilisant les mêmes kanji, historiquement, le premier terme désignait plus le suicide des petites gens, alors que le second concernait les classes supérieures, dont les samurai... De nos jours, un japonais aura tendance à considérer le terme d'Hara-kiri comme vulgaire, préférant utiliser Seppuku, en lecture ''on-yomi'' (pour simplifier, il s’agit de la lecture chinoise d’un kanji, l’autre lecture, appelée ‘’kun-yomi’’, est une lecture sino-japonaise du même kanji. Par exemple, le kanji 切 se lit ‘’hara’’ en kun-yomi et ‘’fuku’’ en on-yomi).
Les deux termes veulent, bien entendu, dire la même chose. Pour hara-kiri, ''hara'' signifie ''ventre'' et ''kiri'' vient du verbe ''kiru'' (切る), couper.
Ce suicide rituel, associé aux Bushi, prenait diverses formes, et a été ''abandonné'' bien avant l'ère Meiji et la disparition des samurai. Bien entendu, l'Histoire japonaise fut marquée par de très nombreux seppuku, mais la pratique finit par être contrôlée, avec l'interdiction du Junshi (le suicide collectif), puis interdite sous les Tokugawa au XVIIe siècle. Elle finit donc par disparaître... Enfin, pas tout à fait, puisque, par exemple, Mishima Yukio, écrivain reconnu, s'est suicidé de cette manière, le 25 novembre 1970, et l'ancien judoka Inokuma Isao fit de même en 2001. Sans oublier les soldats japonais qui le pratiquèrent allègrement lors de la seconde Guerre mondiale.
Le saviez-vous ? Le seppuku est apparu en Chine et concernait, à l'origine, les femmes. Ce mot désignait donc le sacrifice qu'une femme, accusée à tort d’adultère, exécutait pour laver son honneur. Au Japon, ce serait Minamoto no Tametomo, ayant participé à la rébellion Hōgen, qui aurait commis cet acte en premier, en 1170.
Honneur, courage, loyauté... sont certaines des qualités demandées au samurai
En 1716, Yamamoto Tsunetomo (山本 常朝) écrira dans le Hagakure : ''La voie du samurai, c’est la mort''. Ce livre, véritable code de conduite du samurai, est devenu l'une des œuvres majeures sur la façon d'être de ces guerriers... bien qu'écrit en une période de paix où les bushi avaient peu de chance de briller sur le champ de bataille et s'adonnaient plus à la poésie qu'au maniement du sabre (je caricature, bien sûr, mais nous ne sommes pas loin de la vérité). Selon Yamamoto, un bon samurai doit posséder diverses qualités : la bienveillance, le respect , le courage, l’honneur, la droiture, la loyauté et la sincérité. Un homme bafouant ces valeurs devra donc se donner la mort... D'ailleurs, selon l'auteur, le samurai doit se penser comme un homme déjà mort, et, ainsi, accepter cette dernière sans faillir.
Revenons au sujet initial de cet article. Qu'est donc que le seppuku ? Et pourquoi le pratiquer ?
Nous l'avons évoqué, il s'agit avant tout d'un suicide rituel, donc avec des codes. Même si ceux-ci ont évolué dans le temps, ou ne pouvait tout simplement pas être mis en place au moment du suicide, ils restaient toujours plus ou moins les mêmes.
La forme la plus connue, certainement la plus représentée au cinéma, mais également la plus douloureuse du suicide, consistait en une double incision en croix dans l'abdomen, Giri no jumonji. Mais pourquoi le ventre ? Simplement parce que, dans la tradition bouddhiste, l’abdomen inférieur est considéré comme la conscience d’une personne, le lieu où s’expriment certains sentiments comme la colère, le courage, la franchise ou la générosité. Toutefois, le samurai peut pratiquer une simple incision transversale, voire se faire ''aider'' par un Kaishakunin (cf. plus bas). Cette pratique du ''suicide assisté'' fut instaurée à partir du XIIIe siècle et, même si certains vont jusqu'à dire que cela était moins honorable, le but du seppuku n'était pas d'humilier le bushi, même condamné à mort. La douleur devait déjà être suffisamment insupportable... D'ailleurs, lors de la période Edo, il arrivait souvent que les samurai se fassent trancher la tête avant même d'avoir porté la lame à leur ventre. Je vous (ré)invite à lire cet article de France Culture, où Pierre-François Souyri, spécialiste de l’Histoire nipponne, met à mal quelques préjugés sur les bushi, dont le rite du seppuku.
La cérémonie se pratiquait donc le plus souvent devant un public : témoins, amis, ennemis, seigneur..., dont le Kenshi chargé de tout vérifier et de prononcer la sentence. Suivant les époques, elle pouvait se faire sur le champ de bataille (moins codifiée au vu du lieu), dans un temple ou dans la maison du Daimyō que servait le samurai.
À son arrivée, le Bushi porte un kimono blanc, symbole de pureté. Il s'agenouille. Devant lui se trouvent un Kusungobu, une arme dédiée à cet effet (mais ce pouvait être son propre wakizashi ou tantō) souvent entouré de papier de soie, ainsi que de l'encre, un pinceau, des feuilles de papier de riz et une tasse de sake. Derrière lui, peut se tenir le Kaishakunin (介錯人), le plus souvent un ami proche, chargé de lui trancher la tête au moment opportun. L'homme peut boire sa dernière coupe, lire ou écrire un court poème, appelé Waka (和歌), reflétant son humeur du moment, comme le fit Asano Naganori, le Daimyō du fief d'Akō, à l'origine de la vendetta du même nom.
Plus fragile que les fleurs de cerisier
Qui invitent le vent à les éparpiller,
Dois-je maintenant souhaiter un dernier adieu
Et laisser derrière le printemps merveilleux?
Laver son déshonneur, celui de sa famille, de son seigneur, avoir subi une défaite, sont certaines des raisons pouvant pousser un bushi à commettre seppuku
On en recense quatre principales :
La défaite au combat
Le bushi préférait se suicider plutôt que de se faire capturer. Pour certains, c'était également une façon de se racheter auprès de son seigneur. On peut considérer que le suicide de Oda Nobunaga et de son fils, lors de l'incident du Honnō-ji, entre dans cette catégorie. De même, en 1333, Hōjō Nakatori commit le seppuku après une défaite et ses... 432 vassaux se suicidèrent avec lui...
Kanshi
Assez souvent pratiqué par les vassaux des Daimyō, ce seppuku démontrait leurs reproches envers la politique de leur seigneur par leur propre suicide. L'un des plus connu est celui de Hirate Masahide, vassal et mentor de Oda Nobunaga, qui se suicida en guise de remontrance suite au comportement indécent de son jeune seigneur. Après cela, le comportement d'Oda changea du tout au tout.
Tsumebara
Institué sous le shogunat Tokugawa, ce suicide, accordé à la classe des hauts fonctionnaires militaires, était une sanction pénale permettant d’éviter la prison ou l’exil, et, surtout, épargnait la honte au bushi et à son clan.
Junshi
Frères d’armes ou membres d’une même famille se suicident ensemble... Cette pratique décimait tellement les rangs des guerriers qu'elle finit par être interdite. Certains considèrent le suicide des 46 rōnin condamnés après la vendetta d'Akō, comme étant un Junshi. Toutefois, il faut rappeler qu'il s'agissait d'une condamnation à mort et que le seppuku avait été accordé afin de leur éviter la honte d'une simple exécution publique, comme de vulgaires criminels.
ET LES FEMMES ?
Les femmes de bushi n’avaient pas le droit au seppuku.
Néanmoins, lors du Jigai (mot qui, au final, en japonais, définit le suicide en général), elles se tranchaient la jugulaire avec un tantō, voire un kaiken, qu’elles portaient toujours sur elles, après s'être préalablement nouer les jambes, afin de garder une posture digne. Les raisons pouvaient être diverses.
Par exemple, en période de guerre, afin de préserver son honneur si son clan était vaincu, ou si son mari venait à mourir, afin de le rejoindre dans l'autre monde. Il arrivait, dans certains cas, qu'une femme de bushi commette, avec une compagne, comme une servante, un suicide commun, tranchant la gorge l'une de l'autre.
L’estampe ci-dessous représente la femme de Onodera Jūnai Hidekazu, l'un des 47 rōnin, se préparant au jigai, après la mort de celui-ci.
À VOIR
Hara-kiri (‘’Seppuku’’ 切腹), réalisé en 1962 par Kobayashi Masaki. Au début de la période d'Edo, le rōnin Hanshiro Tsugumo se présente au château du clan Ii, que dirige l'intendant Kageyu Saito en l'absence du maître. Le rōnin explique que réduit à la misère depuis la perte de son statut de samouraï, il souhaite qu'on lui propose un lieu adéquat pour mettre honorablement fin à ses jours en pratiquant le seppuku. Ce film reçu le prix spécial du jury à Cannes en 1963.
Il existe une version plus récente de l’excellent Miike Takashi, sortie en 2011.
À LIRE
La Mort en été de Mishima Yukio. Dix nouvelles sont ici rassemblées. Elles reflètent tout à la fois la diversité des talents de Mishima - art du détail comme du développement thématique, art de la description comme de l'ellipse - et de la diversité des univers qu'il pénètre. Les hommes d'affaires et leurs épouses, les geishas, les gens du peuple, les acteurs du kabuki, le vieux prêtre du temple de Shiga et les soldats finissent par composer un Japon moderne en butte à ses traditions séculaires. Et tout est là : l'amour vénal, l'amour sublime et sacrilège ; la perversion des femmes et du monde de l'argent ; les superstitions et le sens du sacré ; la mort. La mort accidentelle des enfants. Celle, attendue, d'un vieillard. La mort rituelle, choisie pour l'honneur - ce seppuku que Mishima a finalement exécuté sur lui-même. (Source : Gallimard)
SOURCES
Cairn.info , Wikipédia.org , Journaldujapon.com , Nipponaka.free.fr , Bushido.over-blog.com, Samourais.fr
LES IMAGES DE CET ARTICLE, SAUF MENTION CONTRAIRE, SONT ISSUES DE WIKIPEDIA.ORG