Vers une reconnaissance nécessaire des Ainu
30 août 2023À l'heure où la communauté Ainu (アイヌ) est en conflit avec le gouvernement concernant la restitution de 1 636 dépouilles de membres de leur communauté actuellement conservées dans des universités « à des fins de recherches anthropologiques », revenons sur ce peuple longtemps persécuté par les différents gouvernements japonais.
Peuple autochtone vivant principalement dans le Nord du Japon, notamment sur l'île d'Hokkaidō et et dans l'Extrême-Orient de la Russie, les Ainu seraient les descendants des Emishi (蝦夷), même si ce terme désigne avant tout les populations indigènes du Tōhoku qui refusaient de se plier à l'autorité de l'Empereur du Japon. À l'époque, et jusqu'à récemment, ces peuples étaient considérés comme appartenant à un groupe ethnique différent et, par là même, ne pouvaient bénéficier des mêmes privilèges que les japonais.
À ce jour, les chercheurs sont toujours incapables de répondre à la question concernant les origines de cette ethnie. Plusieurs hypothèses ont cours : chasseurs-cueilleurs, ils viendraient de Mongolie ou de Russie par exemple, ils seraient de la même ethnie que les aborigènes australiens et seraient des descendants préhistoriques des japonais et plus particulièrement de la Période Jōmon (縄文時代) (approximativement de 13 000 jusqu'à, environ, 400 av. J.-C.), ils descendraient du peuple Okhotsk qui se serait rapidement étendu du nord de Hokkaidō aux Kouriles et à Honshu....
Habitant l’île d’Hokkaidō (1) et le nord du Tōhoku (東北地方), les Ainu seraient donc mentionnés pour la première fois dans un Kumeuta (久米歌), une sorte de poème, composé dans le Nihon Shoki (日本書紀), les chroniques du Japon achevée en 720, et non dans le Kojiki (古事記), comme on peut le lire parfois. Toutefois les écritures utilisent le terme Emishi pour les désigner.
Le texte traduit donnerait :
Bien que les gens aient dit qu'une personne des Emishi équivaut à 100 soldats, ils ont été vaincus facilement sans résister.
Nul ne sait avec quelle précision ce Kumeuta reflète l'histoire ou si "Emishi" dans ce poème désigne bien les différents peuples, dont les Ainu, combattus plus tard.
Au fur et à mesure de l'expansion japonaise, les Emishi sont repoussés, parfois en résistant à l'envahisseur (2), mais le plus souvent en se rendant et fuyant (3). On connaît toutefois des guerres, toutes perdues par les Ainu, comme la première révolte connue (1268) et la Bataille de Koshamain où Takeda Nobuhiro (武田 信広) tue le chef Ainu Koshamain (1456)... Pendant l'ère Edo, le Bakufu Tokugawa accorde au clan Matsumae (松前氏) des droits exclusifs de commerce avec les Ainu dans la partie nord de l'île d'Hokkaidō. Plus tard, ceux-ci commencent à louer les droits commerciaux aux marchands japonais, et les contacts entre les Japonais et les Ainu deviennent plus étendus. Il semble également qu'une partie de la population Ainu soit dévastée par des épidémies de variole à la même époque. Et, bien que ce contact accru contribue à une meilleure compréhension mutuelle, il conduit également à des conflits, voire à de violentes révoltes Ainu. Le plus important fait de cette époque est sans conteste la Révolte de Shakushain (1669-1672). Plus tard, une autre révolte se termine par la Bataille de Menashi-Kunashir (1789) entre colons Wajin (和人) (4) et Ainu.
Finalement, en 1799, les Ainu de l'est d’Hokkaidō sont soumis au contrôle des Tokugawa et en 1807, ceux de l'ouest de l'île sont, à leur tour, absorbés. Les habitants de la région de Tōhoku doivent progressivement abandonner leur langue et leur culture sous la pression du pouvoir central japonais. Toutefois, à Hokkaidō, ainsi que dans la partie sud de l’île de Sakhaline (le nord appartenant à la Russie) et dans les îles Kouriles, plus isolées, ils ont pu les conserver jusqu’à l’annexion de celles-ci par le gouvernement Meiji, en 1869. Mais, très vite, dès 1868 d'ailleurs, le gouvernement japonais impose un nouveau style de vie aux Ainu. Par exemple, la pêche et la chasse sont réglementées, la communauté est stigmatisée, considérée comme sauvage et inférieure. Privés de terres, la majorité des Ainu sont forcés de devenir de petits ouvriers. Si certaines de ces politiques ont, semble-t-il, été conçues afin d'intégrer pleinement les Ainu dans la société japonaise, elles ont aussi provoqué l'effacement de la culture et de l'identité Ainu. Cette intégration forcée a conduit à des pratiques discriminatoires de la part du gouvernement japonais qui se font encore sentir aujourd'hui. Certains Ainu allant jusqu'à encourager leur enfant à se marier hors de la communauté afin de mieux s'intégrer.
Les Ainu et l'homogénéité ethnique japonaise sont en « conflit ». L'existence des Ainu a remis en question cette notion dans le Japon d'après-guerre. Après la disparition de l'Empire du Japon en 1945, les gouvernements successifs forgent une identité japonaise unique en prônant le « monoculturalisme » et en niant l'existence de plus d'un groupe ethnique au Japon.
Toutefois, à la suite de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones en 2007, les politiciens d'Hokkaidō font pression sur le gouvernement japonais pour qu'il reconnaisse les droits des Ainu. Fukuda Yasuo (福田 康夫), alors Premier ministre, répond à une question parlementaire le 20 mai 2008 : « […] c'est un fait historique que les Ainu sont les précurseurs dans l' archipel du nord du Japon, en particulier à Hokkaidō. Le gouvernement reconnaît les Ainu comme une minorité ethnique car il a conservé une identité culturelle unique et a une langue et une religion uniques. ». En 2019, onze ans après une résolution bipartisane non contraignante appelant le gouvernement à reconnaître les Ainu en tant que peuple autochtone, la Diète adopte enfin une loi reconnaissant ceux-ci comme un peuple indigène du Japon. Malgré tout, certaines personnalités politiques continuent de définir l'homogénéité ethnique comme la clé de l'identité nationale, à l'instar de Asō Tarō (麻生 太郎), membre du PLD, qui, en 2020, affirme qu' « aucun autre pays que celui-ci n'a duré aussi longtemps que 2 000 ans avec une langue, une ethnie et une dynastie ».
Il y a encore du chemin à parcourir...
LE CAS DE LA LANGUE AINU
Officiellement, les nouvelles autorités n’ont jamais voulu éradiquer la langue Ainu, mais ils ont tout fait pour, notamment en construisant des écoles où seule la langue japonaise leur était enseignée. Une loi pour la protection et la promotion de la culture Ainu a été finalement promulguée en 1997, facilitant notamment l’apprentissage de la langue. Même si celle-ci n'est pas encore sauvée, on peut espérer que les efforts actuels, dont ceux de l’Association Ainu d’Hokkaidō (北海道ウタリ協会), favorise son expansion.
De même, en juin 1990, l’association Etekekampa (signifiant « donnons-nous la main » en Ainu) a ouvert une école de soutien scolaire privée à Obihiro, pour venir en aide aux jeunes de la communauté Ainu de la région. En 2020, l’organisme a fêté son trentième anniversaire en recevant le prix de la promotion culturelle Ainu de la Fondation pour la culture Ainu. En 2021, Eteke a ainsi pu subvenir gratuitement aux besoins de près de 300 étudiants, leur fournissant un lieu d’étude et de rencontre.
Je ne peux que vous inviter à lire l'article de Nippon.com sur le sujet, certains témoignages sont poignants et montrent la difficulté, encore aujourd'hui, à être né Ainu. En effet, il s'avère que peu d'Ainu, toujours marginalisés, apprennent la langue, voire les traditions de leurs ancêtres.
Une culture et des traditions quelques peu galvaudées selon certains d'ailleurs, à l'instar des motifs traditionnels des broderies que l'on retrouve jusque sur les masques de protection contre le Covid-19. Même le journal tokyoïte Mainichi Shimbun (毎日新聞) en fait l'écho, s'étonnant que ces copies soient certainement mieux protégées juridiquement que les originaux...
Toutefois, l'ouverture du Musée National Ainu et de son parc (民族共生象徴空間), inauguré en juillet 2020 à Shiraoi, le succès de l'excellent manga Golden Kamui (ゴールデンカムイ) de Noda Satoru (野田サトル), de même qu'une certaine recherche d'authenticité et de naturel, peuvent, dès lors que c'est fait dans le respect et le partage, servir la cause des Ainu et leur permettre de recevoir enfin la reconnaissance qu'ils méritent.
NOTES
(1) Hokkaidō (北海道) était autrefois appelé Ezo (蝦夷). Il est même vraisemblable que l'île ait porté un nom différent au VIIIe siècle, époque où fut écrit le Nihon Shoki.
(2) Je rappelle que le terme Seii TaiShōgun (征夷大将軍), que l'on peut traduire par ''Grand général pacificateur des barbares'', était, à la base, attribué au général chargé de mater les Emishi, justement.
(3) Il semble que, la plupart du temps, les Ainu se soient laissés vaincre. Une hypothèse voudrait que cela vienne de leurs croyances selon lesquelles la terre n'appartient à personne.
(4) À l'origine, Wajin (peuple Wa) est le nom que les Chinois utilisaent pour désigner le peuple Yayoi qui vit dans l'archipel japonais, avant le VIIe siècle et la démocratisation du terme « Nippon ». Par la suite, il est régulièrement utilisé pour marquer la différence entre les japonais et les Ainu, voire également avec les peuples des îles Ryūkyū (琉球諸島).
SOURCES
wikipedia.org, journaldujapon.com, japanese-wiki-corpus.org, lemonde.fr, japantimes.co.jp, edition.cnn.com, cambridge.org, mcjp.fr, courrierinternational.com, nippon.com, japan.travel/fr
LES IMAGES DE CET ARTICLE, SAUF MENTION CONTRAIRE, SONT ISSUES DE WIKIPEDIA.ORG