Je ne vais pas commenter tous les discours de la Première ministre japonaise, rassurez-vous, mais celui-ci est important. Le vendredi 24 octobre 2025, Takaichi Sanae (高市早苗) a prononcé son premier discours de politique générale en tant que Première ministre, après avoir succédé à Ishiba Shigeru (石破茂). Ce discours a tracé les grandes lignes de son gouvernement et a illustré la direction que prenait le Parti libéral-démocrate (PLD) sous sa gouvernance.
La Première ministre a placé la protection du pouvoir d’achat au cœur de son action. Elle a annoncé une politique de dépense publique ambitieuse pour stimuler la croissance, améliorer les revenus et renforcer la confiance des ménages et des entreprises. Parmi ses mesures immédiates : la suppression de la taxe provisoire sur l’essence, en place depuis 1974, et la hausse du seuil de revenu non imposable de 1,03 à 1,6 million de yens. Le projet de versement direct de 20 000 yens par personne, qui avait été un engagement du PLD lors des dernières élections à la Chambre des conseillers, a été abandonné, jugé impopulaire et responsable de la perte de majorité dans cette chambre.
Takaichi a reconnu que ces mesures pourraient accroître le déficit public, mais elle a insisté sur la soutenabilité financière : si la croissance économique restait supérieure au rythme d’accumulation de la dette, la situation resterait maîtrisable.
Sur le plan sécuritaire, Takaichi a adopté une posture ferme. Elle a promis d’accélérer la hausse du budget de la défense à 2 % du PIB, deux ans avant le calendrier initial, et de réviser la Stratégie de sécurité nationale et deux autres documents clés d’ici la fin de 2026. Elle a souligné la nécessité de renforcer les capacités militaires du Japon face aux évolutions régionales, tout en confirmant que l’alliance avec les États-Unis restait la pierre angulaire de la politique de sécurité du pays. Elle a également évoqué le renforcement des relations avec la Corée du Sud, les Philippines, l’Australie et l’Inde, dans le cadre d’un Indo-Pacifique "libre et ouvert". Concernant la Chine, Takaichi a adopté un ton mesuré : elle restait un "important voisin" avec lequel le Japon devait entretenir des relations constructives et stables.
Face à la fragilité de son gouvernement minoritaire, après la rupture avec le Kōmeitō (公明党) et l’entrée dans la coalition du Nippon Ishin no Kai (日本維新の会), la Première ministre a appelé à la coopération des partis pour stabiliser la politique nationale. Elle a également annoncé la création d’un cadre transpartisan pour réfléchir à l’avenir du système de sécurité sociale, alors que le Japon fait face à une population vieillissante et à une natalité en baisse.
Je dirais que ce premier discours de Takaichi a fixé trois priorités claires : relance économique, renforcement de la défense et stabilité politique. Mais derrière ces annonces se dessine un pari risqué, qui reflète aussi sa vision conservatrice du Japon : un État fort et souverain, une armée renforcée, un gouvernement ferme sur ses valeurs traditionnelles, et une diplomatie résolument alignée sur Washington tout en maintenant des relations "stables" avec Pékin. L’absence de référence à l’émancipation des femmes ou aux réformes sociales progressistes souligne que, sur le plan sociétal, Takaichi conserve une orientation très conservatrice, proche de la droite nationaliste.
Son programme est ambitieux et audacieux, mais il pourrait exposer le Japon à des tensions économiques et géopolitiques si l’équilibre entre dépenses, sécurité et cohésion intérieure n’est pas trouvé.
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La Première ministre japonaise prononce son discours de politique générale au parlement, le 24 octobre 2025 © Kyodo news